Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 42

 

Tandis que la femme de chambre essayait derelever Julienne, le domestique sautait dans le jardin par lafenêtre et appelait au secours.

Mais la maison était isolée et personne auloin ne l’entendit.

L’assassin avait disparu.

Julienne respirait encore.

Entendant crier, elle dit à la femme dechambre :

– Rappelle-le, c’est inutile. Je suisfrappée à mort.

Le sang coulait avec abondance de la blessure.Cependant Julienne vivait.

Aidée de sa camériste, elle put se lever etgagner unfauteuil.

– Un médecin ! John, cours chercherun médecin ! dit la femme de chambre au valet qui rentrait,hors de lui et le visage bouleversé.

Julienne fit encore un signe négatif.

Puis, d’une voix qui s’affaiblissait de plusen plus :

– Fermez la fenêtre, fermez les portes…et… écoutez-moi…

L’enfant s’était endormi dans son berceau, aumilieu de ce tumulte.

Julienne dit encore :

– J’ai peut-être une heure à vivre, ettous les médecins de la terre ne me sauveraient pas. Contentez-vousd’arrêter l’hémorragie si vous pouvez.

La camériste mit en pièces un mouchoir, et fità la hâte de la charpie grossière et étancha comme elle put, avecl’assistance du valet, le sang qui coulait toujours.

Julienne les regarda avec attendrissement,leur prit la main et leur dit :

– Veillez bien sur mon enfant, jusqu’à cesoir, car M. le marquis reviendra ce soir.

N’ébruitez pas ma mort ; restez ici.Attendez que monsieur soit venu.

À mesure qu’elle parlait, sa respirationdevenait plus oppressée, sa voix s’affaiblissait et son regardlimpide s’obscurcissait peu à peu.

Elle voulut qu’on lui apportât sonenfant ; elle voulut imprimer sur sa jeune tête ses lèvresdécolorées.

– Jenny, dit-elle encore, s’adressant àla femme de chambre, j’ai au cou une clé que vous donnerez àM. de Maurevers.

Elle ouvre le coffre qui se trouve dans machambre, sur ma toilette.

Dites à M. le marquis qu’il trouvera dansce coffre l’explication du secret.

Ce furent ses dernières paroles.

Elle ne parla plus et tout ce qui lui restaitde vie sa concentra dans son regard qu’elle attachait avecobstination sur son enfant.

Puis ce regard s’éteignit, ses yeux sefermèrent un léger soupir s’échappa de sa poitrine et sa têteretomba sur son épaule.

Julienne était morte.

Alors les deux domestiques se regardèrent avecépouvante.

Il n’y avait pas assez longtemps qu’ilsétaient au service de Julienne pour qu’ils eussent pour elle un deces attachements profonds comme savent en inspirer certainsmaîtres.

Mais ils eurent conscience de leurresponsabilité et se demandèrent avec anxiété ce qu’ils allaientfaire.

Julienne leur avait recommandé de veiller surson enfant.

L’enfant courait donc, lui aussi, un danger demort.

Et ceux qui essayeraient de le protégern’allaient-ils pas exposer leur vie ?

Tel fut du moins le raisonnement que fit John,le valet.

Mais la camériste Jenny était une courageusefille d’Irlande, esclave de sa parole.

– Nous avons promis à notre pauvremaîtresse de ne pas bouger d’ici, dit-elle, jusqu’à ce queM. de Maurevers arrive ; je resterai.

John eut honte de son premier moment decrainte et d’hésitation.

Et il aida Jenny à porter la morte sur sonlit.

Puis, tous deux, ils se barricadèrent àl’intérieur de la maison, résolus à attendre jusqu’au soir.

En hiver, les environs de Montretout, sibruyants en été, sont déserts.

Il ne passe pas dix personnes sous les murs dela ville ; et ceux qui y passèrent ne se doutèrent point quecette maison avait été naguère le théâtre d’un drame épouvantableet qu’il s’y trouvait un cadavre.

John et Jenny se livrèrent durant cettejournée à mille commentaires.

Quel était l’assassin ?

Dans quel but avait-il commis lecrime ?

Mystère !

Enfin le soir arriva.

De huit heures à minuit, les deux serviteurscomptèrent les minutes.

– Si monsieur n’allait pas venir !dit John avec effroi.

– Madame l’attendait…

– Il ne vient pas tous les jours.

– C’est vrai.

– Et s’il ne venait pas, queferions-nous ?

– Nous attendrions, dit l’Irlandaise.

Mais le trot d’un cheval qui montait la côtese fit bientôt entendre.

– Le voici dit Jenny.

Alors tous deux se regardèrent enfrissonnant.

Lequel des deux se chargerait d’apprendre lavérité à M. de Maurevers ?

Quelques minutes après Gaston entrait dans lejardin.

Les deux domestiques s’étaient réfugiés dansla chambre mortuaire.

Julienne était couchée toute vêtue sur sonlit.

Le sang ne coulait plus ; mais lacourtine, le parquet, les meubles en étaient couverts.

M. de Maurevers entra.

Il croyait trouver Julienne au rez-de-chausséeet il poussa la porte du petit salon.

Cette pièce était plongée dansl’obscurité.

Le marquis fit deux pas dans les ténèbres etses pieds glissèrent dans le sang.

Alors une sueur froide inonda sestempes ; il s’arrêta frissonnant :

– Julienne ! où êtes-vous ?dit-il.

Nul ne lui répondit.

Il avait une boîte de bougies dans sa poche eten alluma une.

Soudain il jeta un cri :

– Du sang !

Et s’élançant au dehors, il répéta :

– Julienne ! Julienne !

Puis il monta l’escalier quatre à quatre etpoussa la porte de la chambre mortuaire.

Pâles, tremblants, immobiles, les deuxdomestiques étaient là auprès du cadavre.

Ils avaient allumé deux bougies sur unguéridon.

Julienne avait conservé toute sa beauté, endépit de la mort.

Elle paraissait dormir.

M. de Maurevers jeta un nouveau criet se précipita sur ce corps inanimé.

Ce fut une scène déchirante.

Julienne était morte ! – morteassassinée…

Sans doute par l’un de ces hommes qui lapoursuivaient partout.

– Oh ! je te vengerai ! s’écriale jeune homme en s’arrachant les cheveux de désespoir.

Julienne avait laissé sans doute une lettre aufond de ce coffre dont elle portait la clé à son cou, et cettelettre allait apprendre enfin au marquis de Maurevers la terribleénigme qui semblait avoir enveloppé la vie tourmentée de la pauvremorte !

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