Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 17

 

Marmouset trouva Milon qui lui apprit que lematin il avait vu l’enfant, et que Vanda était allée lechercher.

Il attendit une heure, puis deux, puistrois.

Vanda ne revenait pas.

– Que fait-elle donc ? finit-il pardire, impatienté.

– Je ne sais pas, fit Milon, qu’une vagueinquiétude gagnait. Voulez-vous que je retourne rue desPostes ?

– Non, attendons encore.

Deux heures s’écoulèrent encore et la nuitvint.

Vanda était partie à une heure del’après-midi.

– Mille tonnerres ! murmura Milon,il ne faut pas six heures pour aller rue des Postes et enrevenir.

C’était l’avis de Marmouset.

Tous deux montèrent en voiture et le jeunehomme dit à son cocher :

– Brûle-moi le pavé, nous n’avons pas detemps à perdre.

Vingt minutes après ils arrivaient rue desPostes et Milon faisait irruption le premier dans le pensionnat, àla grande stupéfaction du concierge qui était venu lui ouvrir lagrille.

Milon s’écria :

– Où est madame ?

– Comment ! encore ? dit lebonhomme, mais vous ne savez donc pas que M. Barbichon est àmoitié fou de tout ce qui arrive ?

Milon ne l’entendit pas, il piqua tout droit,comme un sanglier qui traverse un fourré, vers ce pavillon situé aufond de la cour et dans lequel, le matin, il avait trouvé le dignechef d’institution.

Il ne se donna pas la peine de frapper, ilentra comme dans une ville prise d’assaut.

Marmouset l’avait suivi.

M. Barbichon se leva tout alarmé et, aulieu de manifester de l’étonnement ou de la mauvaise humeur de voirMilon pénétrer chez lui d’une façon aussi irrévérencieuse, il luidit vivement :

– Eh bien ! avez-vous retrouvél’enfant ?

Ce fut un coup de massue sur la tête deMilon…

– L’enfant ! dit-il… vous parlez del’enfant ?

Marmouset, plus maître de lui, repoussa Milon,regarda le chef d’institution et lui dit :

– Voyons, monsieur, il se passeévidemment, ou plutôt il s’est passé ici quelque chosed’extraordinaire. Tâchons de nous expliquer.

– Je ne demande pas mieux, répondit lepauvre homme, car je vous avouerai humblement que je ne comprendsabsolument rien à tout cela.

Marmouset reprit :

– Vous aviez un enfant qui vous avait étéconfié par le major Avatar ?

– Oui, monsieur.

– Qu’est-il devenu ?

– Monsieur, dit M. Barbichon endésignant Milon, est venu ce matin m’annoncer que sa mère viendraitle chercher.

– Bon !

– À midi, une dame blonde, entre trenteet trente-cinq ans, fort jolie, s’est présentée, a réglé l’arriéréet emmené l’enfant, qu’elle couvrait de caresses.

– Qu’est devenue cette dame ?demanda Marmouset qui croyait reconnaître Vanda à ce portrait.

– Cette dame est partie et je l’ai mêmeconduite jusqu’à sa voiture.

– Fort bien.

– Mais, reprit le chef de l’institution,une heure plus tard, une autre dame blonde aussi, jolie aussi, etde l’âge indiqué, s’est présentée en me disant :

– Je viens chercher l’enfant.

Jugez de mon étonnement ! Je lui ai ditque l’enfant était parti avec sa mère ; là-dessus, elle a jetéun cri de désespoir et elle est partie en courant.

Milon et Marmouset se regardèrent alors avecstupeur ; pendant quelques secondes même, ils demeurèrentmuets.

Mais enfin, Marmouset, qui était doué d’ungrand sang-froid, dit au colosse :

– Il y a une chose certaine, c’est que lafemme qui est venue la première ne pouvait être Vanda, puisqu’elleest arrivée ici à midi.

– Mais quelle est donc cette femme ?s’écria Milon d’une voix étranglée.

– Tu le demandes ! fit Marmousetavec un accent de rage.

Et il entraîna Milon hors du pavillon, à lastupéfaction croissante de l’honnête M. Barbichon, qui venaitd’éprouver en un jour plus d’émotions que dans toute son honnêtecarrière de pédagogue, et qui, voyant ces deux hommes s’avancervers la porte sans même songer à prendre congé, se laissa tomberdans son vieux fauteuil de cuir, posa dans ses mains sa bonne têtechauve et murmura :

– Mon Dieu ! est-ce que je seraisdevenu fou réellement ?

Milon et Marmouset étaient déjà dans larue.

Là, Marmouset, disait :

– C’est maintenant qu’il faut se souvenirdu maître et s’en inspirer. Il ne s’agit pas de perdre la tête, dese tourmenter et de courir à tort et à travers dans Paris ; ilfaut réfléchir.

– À quoi ? demanda Milon, qui étaitabruti d’étonnement et de douleur.

– Qu’est devenue Vanda ? Là esttoute la question, murmura Marmouset.

– Ils l’ont enlevée aussi.

– Je ne sais pas, dit Marmouset, mais jecroirais plutôt qu’elle est sur les traces de la femme qui a dérobél’enfant.

La rue des Postes était déserte, et il tombaitune petite pluie fine et froide.

À deux pas de la pension, il y avait un de cesétablissements borgnes, moitié crémerie, moitié marchand de vins,qu’on appelle vulgairement des bouillons.

Marmouset s’approcha de la devanture, collason œil aux vitres graisseuses et regarda à l’intérieur.

Une grosse femme à l’air réjoui trônait aucomptoir : deux maçons assis à table prenaient leurs repas dusoir.

D’un coup d’œil, Marmouset s’assura quec’était de vrais maçons.

Il entra et Milon le suivit.

La crémière ne témoigna qu’une faible surpriseen voyant pénétrer un homme élégant dans son établissement.

– Ma bonne femme, lui dit Marmouset, quitira un cigare de sa poche, pourriez-vous me donner un peu defeu ?

– Avec plaisir, monsieur,répondit-elle.

Les maçons, qui s’étaient retournés,continuèrent leur repas.

Alors Marmouset se pencha vers lecomptoir :

– Peut-être, dit-il tout bas,pourriez-vous nous donner un renseignement.

La crémière le regarda.

– Vient-il beaucoup de monde à la pensionqui est à côté ?

– Oui, monsieur, le jeudi et ledimanche.

– Et les autres jours ?

– Presque personne. Cependantaujourd’hui, poursuivit la crémière, il est venu une belle dameblonde qui est descendue d’une magnifique voiture à deux chevaux etqui a emmené un jeune enfant.

– Ah ! fit Marmouset.

– Et puis, continua la crémière, il enest venu une autre, blonde comme la première, qui est ressortietout agitée, presque aussitôt après.

– C’est Vanda, pensa Marmouset.

La crémière continua :

– J’avais remarqué son émotion ; uneheure après, elle est revenue, car je crois qu’elle était descendueplace du Panthéon.

– Ah ! elle est revenue ?

– Oui. Elle est entrée ici.

– Chez vous ?

– Oui, monsieur.

En même temps, la crémière regardait Marmousetavec attention.

– Excusez-moi, dit-elle, et ne prenez paspour une offense ce que je vais vous demander.

– Parlez.

– Comment vous appelez-vous ?

– Marmouset.

– C’est bien ça. Alors j’ai quelque chosepour vous. La crémière ouvrit son comptoir et y prit un petitbillet écrit au crayon, qu’elle lui tendit.

– C’est l’écriture de Vanda !murmura Marmouset tout frémissant.

Et il ouvrit le billet.

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