Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 25

 

Milon s’était donc installé sur un banc del’avenue, à vingt pas de la grille du petit hôtel.

De ce poste d’observation, rien ne pouvait luiéchapper.

La grille n’était garnie de volets que jusqu’àhauteur d’appui.

En s’éloignant un peu on voyait parfaitementce qui se passait dans le jardin.

D’ailleurs Milon avait pu se rendre compted’une chose, c’est que l’hôtel n’avait pas d’autre issue que cellede la grande avenue.

Il lui suffisait donc de ne pas perdre de vuela porte de la grille.

Il avait aperçu la femme aux cheveux roux,tandis que la grille s’entr’ouvrait, et Marmouset lui avaitdit :

– C’est elle !

Milon s’était gravé cette tête dans la mémoireet elle pouvait à présent sortir.

Milon la suivrait.

Une heure, puis deux s’écoulèrent.

Plusieurs fois, le domestique à qui il avaitparlé était sorti, puis rentré, pour faire diverses courses dans levoisinage.

Mais il n’avait pas paru faire attention àlui.

Milon avait tiré un cigare de sa poche etfumait tranquillement.

Un cavalier qui descendait au pas l’avenue,s’arrêta devant la grille qui s’ouvrit aussitôt.

Le colosse eut le temps de l’examiner.

C’était un homme de trente-huit à quarante ansau teint bronzé, aux cheveux noirs, portant toute sa barbe etaccusant le type espagnol dans toute sa pureté.

La grille se referma sur lui.

Mais, peu après, le domestique sortit denouveau.

Cette fois, il vint droit à Milon.

– Vous avez désiré parler à donRamon ? lui dit-il.

– Oui, pour lui présenter mon neveu.

– Où est-il ?

– Je l’ai envoyé faire une course.

– Où donc ça ?

– Dans l’intérieur de Paris, mais il varevenir, dit Milon, et alors je vous prierai de me faire parler àvotre maître.

– Vous pouvez même lui parler tout desuite.

– Oh ! j’attendrai…

C’est que monsieur et madame vont sortir.

– Vraiment ? fit Milon, quitressaillit.

– Est-ce que vous n’avez pas étécocher ?

– Je le suis encore ; ne vousdisais-je pas tout à l’heure que j’étais l’ancien piqueur deM. le duc de Château-Mailly ?

– Tiens ! c’est vrai. Eh bien !si vous manquez de besogne, on peut vous en donner.

– Comment cela ?

– Le cocher est au lit, c’est le groom demadame qui conduit depuis deux jours, mais c’est un enfant quin’est pas très prudent et nous avons des chevaux violents.

Milon, qui se souvenait des ordres que luiavait donnés Marmouset n’hésita pas à répondre :

– Je me suis retiré et je mangemes petites rentes, mais je ne demande pas mieux que de rendreservice à l’occasion ; je prendrai bien le fouet du cochertrois ou quatre jours, ne fût-ce que pour intéresser votre maître àmon neveu.

– Alors, venez, dit le valet de chambre,le pardessus de John vous ira comme un gant.

– Me voilà dans la place, pensa Milon enentrant dans le petit hôtel.

En effet, don Ramon, qui revenait du bois,s’apprêtait à sortir en voiture avec celle qui passait pour safemme.

Milon avait fait un raisonnement bien simpleen acceptant la proposition du valet de chambre.

– Que m’a ordonné Marmouset ?s’était-il dit ; de ne pas perdre de vue cette femme et de lasuivre si elle sortait.

Je ne puis donc mieux exécuter les ordres quej’ai reçus qu’en lui servant de cocher.

Une heure après il était sur le siège du coupéet tenait en main deux beaux trotteurs pleins de feu.

Don Ramon et sa prétendue femme montaient envoiture.

Le valet de chambre prit les ordres et grimpaà côté de Milon.

– Où allons-nous ? demanda cedernier en sortant.

– À Saint-Mandé, répondit le valet, dechambre ; monsieur et madame ont loué à l’entrée du bois unemaison de campagne pour l’été, les ouvriers y sont, nous allonsvisiter les travaux.

Milon ne fit aucune observation.

Il descendit l’avenue, traversa la place de laConcorde, arriva à la Bastille par les rues de Rivoli etSaint-Antoine, laissa le chemin de fer de Vincennes à gauche etprit le nouveau boulevard.

Don Ramon avait baissé les glaces du coupé etsa conversation arrivait par lambeaux à l’oreille de Milon.

L’Espagnol et la femme aux cheveux rouxs’exprimaient en français et parlaient de choses tout à faitindifférentes.

– Voilà des gens, pensait Milon, qui nesongent guère, je crois, à quitter Paris, et qui sont tout occupésde leur maison de campagne. Marmouset s’est effrayé à tort.

Les deux chevaux étaient très vifs ; entrente-cinq minutes, ils furent à Saint-Mandé.

– C’est là, dit le valet de chambre.

Et il montrait une jolie villa isolée, àgauche de la route, toute neuve, et dans laquelle on voyait, parles croisées ouvertes, une demi-douzaine d’ouvriers.

La grille était ouverte.

Le coupé vint tourner et s’arrêta devant leperron.

L’Espagnol et la femme aux cheveux rouxentrèrent dans la maison, et Milon demeura sur son siège.

Le valet de chambre lui dit :

– Couvrez vos chevaux et allons boire uncoup.

– Où ça ? demanda Milon.

– Là, chez la mère Binette.

Et il lui montrait du doigt, de l’autre côtéde la route, une sorte de bouchon dans lequel les ouvriersprenaient leurs repas.

Milon jeta sur les chevaux la couvertured’attente, entortilla les rênes après son fouet, mit pied à terreet suivit le valet de chambre sans défiance.

Le bouchon était désert, car c’était l’heuredu travail.

La cabaretière, une grosse mère réjouie,lisait un journal, assise à son comptoir.

– Donnez-nous une fine bouteille, mèreBinette, dit le valet de chambre.

Milon se plaça à une table et la cabaretièreapporta du vin et des verres.

Ils se mirent à boire.

Un moment après deux ouvriers entraient, puisdeux autres et encore deux autres. Ils s’assirent tous autour de latable où était Milon. Alors la cabaretière ferma la porte.

– Qu’est-ce que vous faites donc, lamère ? demanda Milon étonné.

– On va te le dire, répliqua le valet dechambre.

Et il fit un geste aux ouvriers en même tempsqu’il jetait le contenu de son verre au visage de Milon.

Les prétendus ouvriers se ruèrent sur Milon àdemi aveuglé, et, malgré sa force prodigieuse, le colosse fuiterrassé.

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