Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 47

 

Le Manuscrit de Turquoise.

(Suite.)

M. de Maurevers habitait toujours lequartier des Champs-Élysées.

Il avait un petit hôtel dont l’entrée étaitrue de Surène et dont le jardin, assez vaste, avait une petiteporte dont lui seul, du reste, possédait une clé.

C’était par cette porte qu’il s’esquivaitquand il venait chez moi.

Ce fut par là qu’il me fit entrer.

Ce n’était pas la première fois, du reste, queje pénétrais chez lui, bien que les précautions minutieuses qu’ilprenait pour cacher son enfant me fissent un devoir de me montrermoi-même le moins possible.

J’avais eu la curiosité de visiter l’hôtelquelques mois auparavant.

Maurevers, dont le domestique était peunombreux, du reste, m’avait conduite chez lui un dimanche soir,tandis que ses gens étaient sortis.

Puis j’y étais revenue, non point trèssouvent, mais quelquefois.

Or donc, ce soir-là, ce fut par le jardin quenous entrâmes et par la serre que nous pénétrâmes à l’intérieur del’hôtel.

Le silence le plus profond y régnait.

– Tout le monde est sorti, me dit Gaston.J’aime autant cela : moins on te verra ici, moins je seraiinquiet pour mon fils.

Nous traversâmes le vestibule sans lumière,Maurevers me donnait la main : et nous pénétrâmes dans uncabinet qui se trouvait au rez-de-chaussée.

Là, seulement, il se procura de la lumière etalluma les flambeaux qui se trouvaient sur la cheminée.

C’était une vaste pièce qui tenait autant dufumoir par son ameublement que du cabinet de travail.

D’ailleurs Maurevers était un de ces hommes deloisirs qui vivent peu chez eux.

– Regarde bien autour de toi, medit-il.

– Eh bien ?

– Il y a un titre de rente au porteur decent cinquante mille francs ici. Devine où il est.

– Dans ce bahut ?

– Non.

– Dans le tiroir de cettetable ?

– Pas davantage. Tu chercherais toute tavie que tu ne devinerais pas.

Alors il me montra deux magnifiquesjardinières en chêne sculpté, supportées par un pied torse et quise trouvaient dans les embrasures des croisées.

– C’est là qu’il faut chercher, medit-il.

– Mais dans laquelle ?

– On les change tous les jours de place,et je ne le sais pas moi-même.

Je m’approchai de celle qui était le plus prèsde moi, et j’enlevai la caisse de zinc destinée à recevoir lesfleurs. La caisse était vide, le dessous aussi.

– Cherche toujours, me dit-il ensouriant.

Je crus à un double fond, je passai mes doigtssur les sculptures, espérant rencontrer quelque ressortmicroscopique.

Ce fut peine perdue.

Alors Maurevers s’approcha et dévissa lacaisse de bois de la colonne torse qui la reliait au pied. Cettecolonne était creuse comme un canon de fusil. Mais elle étaitvide.

– C’est dans l’autre, me dit-il.

Et, en effet, lorsqu’il eut dévissé ladeuxième jardinière, je vis quelque chose de blanc dans le trou. Ily plongea ses doigts et en retira le titre de rente.

– La cachette est ingénieuse, lui dis-je.Mais enfin, admettons le cas de mort subite dont tu nousparles.

– Bon.

– On commencera par mettre les scelléschez toi.

– Sans doute.

– Tes héritiers naturels seront ensuiteenvoyés en possession de ton héritage.

– Naturellement.

– Et ils garderont les deuxjardinières.

– Tu te trompes. Écoute-moi.

– Voyons.

Il replaça le titre de rente dans la colonnetorse, remis la caisse sur son pied, et alla ouvrir sonsecrétaire.

– J’ai fait mon testament, me dit-il enretirant une lettre carrée de l’un des tiroirs. Par ce testamentque voilà, je laisse ma fortune, c’est-à-dire mes terres et mesbiens au soleil à ceux de ma famille qui portent mon nom.

– Fort bien !

– Mais je dispose de différents petitslegs, et je laisse à mes amis différents souvenirs. Ainsi, mapanoplie est pour Montgeron ; ma collection de faïences pourle baron Hounot. Je te lègue à toi, Jenny Delacour, dite Turquoise,ces deux jardinières.

– Oh ! je comprends, maintenant, luidis-je.

– Tu penses bien, ajouta-t-il, que meshéritiers, si un malheur m’arrivait, seraient trop heureux derecueillir ma succession au prix de ces modestes sacrifices, et queles jardinières te seraient fidèlement envoyées.

Il replaça le testament dans le tiroir de sonsecrétaire, éteignit les bougies, et nous quittâmes l’hôtel sansavoir été rencontrés par le portier, ni par les domestiques.

Plusieurs mois s’écoulèrent.

L’enfant grandissait et les inquiétudes deM. de Maurevers commençaient à se calmer lorsque, unmatin, il reçut une lettre qui le bouleversa.

Cette lettre venait de Londres.

Elle était conçue en ces termes :

« Tandis que le marquis de Maurevers vitau milieu des plaisirs faciles de Paris, croyant n’avoir plus aucundevoir à remplir, l’ennemi acharné de sa race, le meurtrier de sonpère, sûr d’avoir déjoué toutes les recherches, est heureux etpaisible dans un coin de l’Angleterre.

« M. de Maurevers a cru que leduc de Fenestrange était mort.

« C’est une erreur.

« Le duc vit et s’applaudit d’avoiréchappé à l’épée vengeresse du fils de sa victime en se faisantpasser pour mort.

« Si le marquis de Maurevers n’a pasoublié le serment fait à sa mère mourante, si le désir de vengerson père est toujours dans son cœur, il quittera Parissur-le-champ, se rendra à Londres, se fera indiquer la Tavernedu roi George dans le Wapping, et, se présentant au tavernierqui se nomme Calcraff, il lui dira :

« – Je suis celui à qui l’on aécrit. »

« Calcraff donnera alors àM. de Maurevers les indications nécessaires pourretrouver le duc de Fenestrange. »

Cette lettre était sans signature.

J’eus le pressentiment que c’était un piège,lorsque le marquis me la montra.

– N’y va pas, lui dis-je.

– Pourquoi ?

– J’ai peur.

– Mais si le duc vit, il faut que jevenge mon père ! me répondit-il.

Mes larmes, mes supplications furentinutiles.

Il partit le soir même.

Le lendemain je reçus de lui une dépêchetélégraphique ainsi conçue :

« Mystification. Calcraff ne sait pas ceque je veux dire et n’a jamais entendu parler du général duc deFenestrange.

« Je repars ce soir et serai à Parisdemain dans la journée. »

Mais ni le lendemain, ni les jours suivants,M. de Maurevers ne revint.

Qu’était-il donc arrivé ?

Enfin, au bout de huit jours, comme j’étaislivrée au plus violent désespoir, le marquis entra chez moi…

Mais je jetai un cri de douloureux étonnement,au lieu d’un cri de joie, après m’être élancée dans ses bras.

Gaston de Maurevers n’était plus que l’ombrede lui-même.

Ce n’était plus un homme, c’était unfantôme !

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