Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 25

 

Des deux hommes qui venaient d’entrer, àl’appel de la Belle Jardinière, l’un était parfaitement inconnu àMarmouset.

Mais l’autre lui arracha un cri d’étonnement,presque de stupeur.

C’était l’Espagnol qu’il avait laissé rue deMarignan sous la garde de Milon, et pour qu’il n’en pût douter etne pas croire à quelque ressemblance extraordinaire, l’Espagnolavait encore les habits de cocher de fiacre sous lesquels Marmousetl’avait découvert place du Panthéon.

L’Espagnol et l’homme qui était avec lui,étaient armés d’un revolver et d’un poignard.

Marmouset avait brisé son poignard sur la cotede mailles couleur de chair qui enveloppait la Belle Jardinière, etjeté son revolver déchargé comme désormais inutile.

– Tu le vois, lui dit la BelleJardinière, tu es en mon pouvoir. Je n’ai qu’à faire un signe etces deux hommes se jetteront sur toi et te poignarderont.

Marmouset, en présence de ce danger réel quiremplaçait enfin tous ces périls mystérieux et incompréhensiblesauxquels il venait d’échapper, avait retrouvé tout sonsang-froid.

Les menaces dédaigneuses de la BelleJardinière l’intimidaient peu du reste, et si désespérée que luiparut la solution, il ne perdait pas cependant tout espoir.

Mais il regarda Vanda avec une douloureuseténacité.

Vanda continuait à toucher du piano, les yeuxau plafond, la tête rejetée en arrière.

– Folle ! murmurait-il,folle !

– Mais viens donc puisque tu veux savoir,dit la Belle Jardinière avec une ironie farouche.

– C’est bien, dit-il, je vous suis.

Elle le prit par la main, et à ce contact ilne put se défendre d’un tressaillement !

Cette femme avait la main froide comme lecorps d’une couleuvre.

Les deux hommes marchaient en avant.

Ils ouvrirent une porte au fond de la sallesouterraine, et Marmouset, se trouva dans un corridor plus haut etplus large que celui qu’il avait suivi déjà en poursuivant sonennemie.

Au bout de ce corridor, l’Espagnol poussa uneseconde porte.

Alors une grande clarté inonda de nouveau levisage de Marmouset.

Et en même temps aussi, il fit un pas enarrière et sentit ses cheveux se hérisser.

Il était en présence de ce qu’on appelle unechapelle ardente.

Comme jadis M. Gustave Marion qui enétait devenu fou, comme M. de Montgeron qui en était mortquatre ou cinq ans après, Marmouset se trouvait face à face avec uncadavre exposé sur un lit de parade, aux quatre coins duquelbrûlaient des candélabres à huit bougies.

– Regarde ! dit la BelleJardinière.

L’accent railleur de sa voix avait fait placeà un timbre plus grave.

– Regarde ! répéta-t-elle, puisquetu as voulu savoir.

– Maurevers ! exclama Marmouset.

Elle secoua la tête :

– Ce n’est pas. Maurevers, dit-elle. Toiaussi tu t’y trompes, comme s’y sont trompés Marion, Montgeron etles autres.

Approche-toi plus encore ; tiens, soulèvece bras… cette fois, ce n’est pas une figure de cire… c’est bien unvrai cadavre… le cadavre de l’homme que j’ai aimé…

Et elle se pencha et mit un baiser sur lefront du mort.

Puis, se redressant, l’œil étincelant, elledit encore :

– Cet homme que tu vois là, c’est monseul, mon ardent amour… c’est Perdito… Perdito que Maurevers a tué…Perdito dont je venge la mort à chaque heure du jour et de lanuit…

Elle eut un ricanement de bêtefauve :

– Ah ! tu as voulu savoir, dit-elle,tu sauras !

Elle le prit de nouveau par la main, le fitpasser devant le lit de parade et poussa une nouvelle porte.

Cette fois, Marmouset sentit ses cheveux sehérisser.

Il était au seuil d’un espèce de cachotéclairé par une lampe de fer suspendue à la voûte.

Au fond de ce cachot, accroupi sur un peu depaille fétide, était un vieillard décharné, couvert de haillons,chargé de chaînes.

Un vieillard qui, voyant paraître Roumia,joignit les mains et lui dit d’une voix lamentable :

– Grâce ! grâce !

Celui-là n’était pas fou. Il avait toute saraison, et la conscience des tortures sans fin qu’il endurait.

– Ah ! tu demandes grâce, dit labohémienne en riant d’un rire sinistre. As-tu fait grâce à Perdito,toi ?

Et se tournant vers Marmouset :

Puisque tu as lu le manuscrit de Turquoise,dit-elle, tu dois savoir quel est cet homme, ce démonplutôt !…

C’est le monstre qui nous a élevés, Perdito etmoi dans la haine du marquis de Maurevers ; c’est ce duc deFenestrange qui est allé jadis en Orient, chercher d’abominablessecrets ; c’est lui qui m’a enseigné l’art de tuer avec desparfums et de rendre fou avec des baisers…

C’est lui qui a mis un pistolet dans les mainsdu marquis de Maurevers et qui lui a fait tuer Perdito.

Et elle se prit à rire comme une filled’enfer :

– Et il a cru m’échapper ! et il acru que je me contenterais de torturer Maurevers et que je lelaisserais jouir en paix de sa vengeance… Ah ! ah !ah !…

Marmouset, la sueur au front, regardait tour àtour ce vieillard et cette furie.

Elle reprit :

– Mais Perdito n’eût point été vengé, sije n’avais pas frappé cet homme !… Il m’avait, donné de l’or,il avait mis à mes pieds des esclaves… Or et esclaves m’ont servi àle faire tomber dans un piège et àm’emparer de lui…

Il y avait dans un coin du cachot, hors de laportée du vieillard retenu au mur par des chaînes, un fourneau danslequel brillaient des charbons ardents.

Roumia fit un signe.

À ce signe, l’Espagnol prit une longue tige defer et la plongea dans le fourneau.

Le vieillard se prit à hurler.

– Grâce ! grâce !répéta-t-il.

– Il n’y a pas de grâce pour toi,répondit Roumia.

Et sa main nerveuse se mit à tourner etretourner la tige de fer dans le brasier jusqu’à ce qu’elle fûtrouge à l’extrémité.

Alors elle la retira et s’avançant vers levieux duc, elle le piqua au bras et à l’épaule.

La chair fuma à ce contact.

Le vieillard jeta des cris déchirants.

Marmouset lui-même, oubliant sa propresituation, s’écria :

– Grâce ! grâce !

Roumia eut un éclat de rire et jeta la tige defer loin d’elle.

Puis elle reprit Marmouset par la main et luidit :

– Maintenant, veux-tu voirMaurevers ? viens !

Et elle le fit sortir du cachot.

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