Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 39

 

Le manuscrit de Turquoise.

(Suite.)

Un an plus tard, on eut retrouvéM. de Maurevers galopant à minuit passé dans les alléesdésertes du bois de Boulogne, et se dirigeant vers Saint-Cloud. Cen’est guère l’heure pourtant de se promener à cheval ; et lemoment était d’autant moins opportun qu’il faisait très froid etqu’on était en plein hiver.

M. de Maurevers sortait du Clubdes Asperges ; mais il n’était pas monté à cheval à laporte même.

Il avait longé le boulevard jusqu’à laMadeleine et était entré dans la rue Duphot.

Son domestique lui tenait son cheval en mainsau coin de cette rue et de la rue Richepanse.

Le marquis avait sauté lestement en selle etpiqué des deux vers le Bois, à travers les Champs-Élysées non moinsdéserts à cette heure avancée.

Et, certes, ce n’était pas la première foisque M. de Maurevers accomplissait cette mystérieuseéquipée.

Trois ou quatre fois par semaine, il quittaitle club de bonne heure, annonçait qu’il s’allait coucher ettrouvait son cheval au même endroit.

Cependant, M. de Maurevers nejouissait pas, dans le monde où il vivait, d’une réputationromanesque.

Son existence était la plus simple enapparence.

On lui connaissait une liaison avec la petiteMarguerite Saint-Clair, la jolie actrice des Variétés, et il semontrait avec elle un peu partout.

Personne moins que lui n’était soupçonnéd’avoir une de ces intrigues secrètes, un de ces grandsattachements mystérieux qui absorbent la vie d’un homme riche et enapparence oisif.

À la grille de Boulogne, le douanier luiouvrit sans faire aucune observation.

Il continua à galoper vers Saint-Cloud,traversa le pont, passa devant la Tête-Noire et gagna larampe de Montretout.

Au deuxième tournant, un peu au-dessus duchemin de fer, il prit un sentier qui grimpait aux flancs du coteaujusqu’à une maisonnette blanche entourée d’arbres et que, àSaint-Cloud, on appelait depuis un an la maison de l’Anglaise.

En effet, un an auparavant, à peu près à lamême époque, une femme vêtue de noir, se disant veuve, ne parlantque l’anglais et ayant deux domestiques, également anglais, avaitacheté cette maison et s’y était installée.

Elle ne sortait jamais que le soir, sepromenait parfois une demi-heure sur la route de la Marche etrentrait aussitôt qu’elle était l’objet de l’attention d’un passantquelconque.

Cependant, les gens du voisinage savaientqu’elle était accouchée depuis quelques semaines, et on avaitconclu qu’elle venait de perdre son mari au moment où elle étaitvenue habiter Saint-Cloud.

Si les populations provinciales sontcurieuses, en revanche les habitants des villages qui environnentParis sont d’une indifférence parfaite pour les affaires duvoisin.

Cela tient à ce que Saint-Cloud,Ville-d’Avray, Bellevue et tous les endroits analogues, envahischaque année par les gens de la ville, ont fini, par se blaser surles étrangers.

Personne ne se connaît, chacun vit à sa guiseet nul ne s’occupe de son voisin.

L’Anglaise, comme on l’appelait vivait doncfort tranquille dans sa retraite et personne ne s’eninquiétait.

À minuit trois quarts, en hiver, tout le mondedort à Saint-Cloud.

M. de Maurevers ne rencontrapersonne sur la route de Montretout.

Le petit sentier dans lequel il entra étaitsablonneux.

Le cheval se mit au pas, et le sable empêchases sabots de résonner.

Arrivé à la grille de la villa,M. de Maurevers mit pied à terre et passa la bride à sonbras.

Puis, au lieu de sonner, il tira une clef desa poche et la mit dans la serrure.

La grille s’ouvrit.

Le cheval, habitué sans doute à cette stationnocturne, entra dans le jardin derrière son maître et gagna delui-même un petit chalet en briques qui lui servait d’écurie.

Quant à M. de Maurevers, il seservit de la même clé qui avait ouvert la grille et pénétra dans lamaison.

Une lumière discrète brillait aux fenêtres durez-de-chaussée.

Le marquis entra dans le vestibule en hommequi connaît les êtres d’une maison et s’inquiète peu del’obscurité.

Mais, au bruit de ses pas, une autre portes’ouvrit, un flot de lumière le frappa au visage, et deux brasblancs l’enlacèrent avec amour.

En même temps, une voix harmonieuse et doucemurmurait :

– Ah ! mon Gaston bien-aimé, je nevous ai jamais attendu avec autant d’impatience que ce soir.

Celle qui parlait ainsi, et en fort bonfrançais, était pourtant cette Anglaise vêtue de noir que les gensde Saint-Cloud disaient ne pas connaître notre langue.

Elle entraîna M. de Maurevers dansun joli petit boudoir dans lequel flambait un feu clair.

Auprès de la cheminée était une bercelonnettebleue garnie de rideaux blancs.

Le marquis s’en approcha, souleva ces rideauxet se mit à contempler avec une douce émotion un bébé blanc et rosequi dormait, rêvant sans doute du paradis.

Puis il prit la jeune femme dans ses bras etlui mit un baiser au front.

– Chère Julienne, dit-il, et pourquoidonc, mon ange, aviez-vous plus d’impatience aujourd’hui que lesautres jours ?

Elle eut un sourire mélancolique et chassa deses doigts blancs et roses une mèche folle de sa chevelure quierrait sur son front.

– D’abord, dit-elle, parce que je vousaime aujourd’hui, plus qu’hier, comme hier je vous aimais plus quela veille ; comme chaque jour je vous aime davantage.

– Bon ! fit le marquis ensouriant.

– Ensuite, parce que voilà deux grandsjours que je ne vous ai vu.

– Et puis ?

Elle pâlît légèrement, et le sourire quieffleurait ses lèvres disparut.

– Enfin, dit-elle, j’ai eu bien peur.

– Quand ?

– Ce soir.

– Mais pourquoi ?

– J’ai vu deux hommes à minesinistre errer autour de la maison.

M. de Maurevers fronça lesourcil ; puis, après un silence :

– C’est impossible, dit-il, vous êtes sibien cachée ici.

– Ô Gaston, Gaston ! murmura lajeune femme avec un redoublement d’effroi.

– Ne suis-je pas là pour tedéfendre ?

Elle frissonna plus encore.

– Ah ! dit-elle, s’ils metrouvaient, ils me tueraient.

– Qu’ils y viennent donc ! s’écriale jeune marquis de Maurevers, dont les yeux laissèrent jaillir unéclair.

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