Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 19

 

Ainsi donc la femme pour quiM. de Montgeron était mort d’amour, c’était la BelleJardinière !

Marmouset avait connu cette histoire.

Quand il fut reçu au Club des Crevés,il n’y avait guère qu’un an que les plus ardents amis deM. de Maurevers avaient fini par renoncer à éclaircir lemystère qui enveloppait sa disparition.

L’élève de Rocambole savait donc cettehistoire tout au long, et il eut un tressaillement galvanique enrecevant du mourant cette suprême confidence.

Mais le baron Henri était mort en prononçantce nom, et Marmouset seul l’avait entendu.

Le marquis de C…, Charles Hounot et les deuxmédecins ne comprirent alors qu’une chose, c’est que le baronvenait d’expirer.

Marmouset était jeune.

Son visage bouleversé était la conséquence duspectacle qu’il avait sous les yeux.

Du moins, telle fut leur conviction…

D’ailleurs Marmouset murmura :

– Trop tard !

Et quelques minutes après, il quitta lachambre mortuaire, disant au marquis de C…

– Je suis convaincu que si on avait ditce matin au baron Henri que Montgeron ne le provoquait que paramour pour cette femme, il eût, d’un mot, forcé son adversaire àrenoncer au combat et à lui tendre la main.

– Mais enfin, quelle est-elle cettefemme ? demanda le marquis.

Au moment où il faisait cette question,Marmouset et lui setrouvaient sur le trottoir, devant leGrand-Hôtel, et sous les rayons d’un bec de gaz.

– Marquis, dit Marmouset, regardez-moibien, je vousprie.

M. C… attacha sur le jeune homme un œilsurpris.

Marmouset était pâle, et sa physionomierespirait une énergie et une résolution qui étonnèrent le vieuxviveur.

M. de C… était un homme d’au moinsquarante-cinq ans.

– Eh bien ? demanda-t-il.

– Je me suis fait un serment, il y a cinqminutes, marquis, poursuivit Marmouset.

– Et ce serment ?…

– Consiste à venger la mort de Montgeronqui était mon ami et le vôtre ; et celle du baron qui meurt engalant homme.

– Mais comment lesvengerez-vous ?

– Me donnez-vous votre parole degentilhomme que ce que je vais vous dire restera entrenous ?

– Je vous la donne.

– En expirant le baron a prononcé un mot,un nom.

– Ah !

– Ce nom me met sur la trace d’une vasteintrigue. Et Dieu aidant, je débrouillerai cette intrigue,marquis.

– Avez-vous besoin de moi ?

– Non, pas pour le moment, du moins. Maissi jamais votre concours m’est nécessaire, j’irai vous trouver.

– Je serai prêt, ditM. de C…

Marmouset fit un signe à son cocher quil’attendait à la porte du club, et qui, traversant la chaussée,vint se ranger devant le Grand-Hôtel.

– Adieu, marquis, dit-il.

– Vous ne remontez pas avecmoi ?

– Non.

– Et si on me demande ce que vous auradit le pauvre Henri ?

– Vous répondrez qu’il expirait au momentoù nous entrions. Au revoir.

Et Marmouset serra la main du marquis, montadans son coupé et s’éloigna.

Il tira sa montre en passant devant laMadeleine.

– Dix heures, pensa-t-il. Ce n’est qu’àminuit que je dois ouvrir le pli cacheté du maître. J’ai letemps.

Et secouant le gland de soie, il baissa unedes glaces du coupé et dit au cocher :

– Tu monteras les Champs-Élysées jusqu’aunuméro 96 ter.

– Montgeron expirant, pensaitencore Marmouset durant le trajet, Montgeron m’a prié de couper unemèche de ses cheveux et de la porter à cette femme. Voilà qui mefait une entrée toute naturelle ; et je n’aurai nul besoin debriser une porte ou de m’introduire par une fenêtre.

Il faut toujours respecter la loi, même avecles assassins.

Dix minutes plus tard, le coupé s’arrêtait àl’adresse indiquée.

Marmouset mit pied à terre et renvoya lecocher en lui disant :

– Tu peux rentrer, je m’en irai àpied.

Et tandis que le coupé s’éloignait, il se mità examiner la maison qu’il avait devant lui.

C’était un petit hôtel, élevé d’un seul étage,bâti au fond d’un jardin, dans lequel se trouvaient encore quelquesvieux arbres.

Cette demeure avait, en plein Paris, quelquechose de mélancolique et de solitaire.

Une seule lumière brillait au rez-de-chaussée,derrière les persiennes de la dernière croisée.

Marmouset sonna à la grille.

La lumière changea de place et se promena surtoute la façade.

Puis, peu après, des pas se firent entendredans le jardin, et un domestique en petite livrée vint ouvrir.

À la vue de Marmouset cet homme parut étonnéet dit :

– Monsieur se trompe, sansdoute ?

– Non pas, répondit Marmouset. Don Ramony Figuerra ?

– C’est ici, monsieur.

– Don Ramon y est-il ?

– Non, monsieur, il est au club.

– Et madame ?

– Madame y est. Mais madame ne reçoitjamais personne en l’absence de monsieur.

– Faites-lui passer ma carte et elle merecevra.

En parlant ainsi, Marmouset écarta le valetavec l’autorité d’un homme qui n’a pas pour habitude d’êtreéconduit, et il entra dans le jardin.

Puis, au lieu de donner sa carte à lui, ilremit une carte de feu M. de Montgeron.

Le valet entra dans l’hôtel et Marmouset sepromena dans le jardin pendant quelques secondes.

Puis le valet revint :

– Madame attend monsieur le vicomte,dit-il.

Ces mots causèrent à Marmouset une sorte destupeur.

Comment cette femme qui avait si bien préparéla catastrophe du matin en ignorait-elle le résultat ?

Elle ne savait donc pas, que Montgeron étaitmort ?

Néanmoins Marmouset suivit levalet.

Celui-ci lui fit traverser un petit vestibule,puis un salon, et poussa enfin la porte d’un boudoir, dans lequelse tenait la femme aux cheveux roux.

Marmouset s’arrêta sur le seuil.

La femme mystérieuse était à demi-couchée surune chaise longue auprès du feu, et tournant la tête vers la porteet regardant Marmouset avec une parfaite indifférence, elle luidit :

– Monsieur le vicomte de Montgeron, monmari, don Ramon, m’a beaucoup parlé de vous ; et je suisheureuse de vous recevoir…

En même temps, elle lui indiquait de sa petitemain gantée un siège auprès d’elle.

– Cette femme a l’aplomb d’une comédienneconsommée, pensa Marmouset.

Et il entra.

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