Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 9

 

La figure de cire qui représentait siparfaitement le cadavre de M. de Maurevers que tout lemonde s’y était trompé à première vue, avait été mise sous la gardede deux des agents de police conduits par le chef des affairesmystérieuses à Bellevue.

En même temps ils avaient ordre de surveillerM. Polydore Grosjean et de ne pas le laisser sortir de sapropriété.

M. Lépervier était revenu à Paris avec lecommissaire de police, Montgeron et M. de Noireterre.

– Je vais arrêter cette femme qui habite,dit-on, maintenant, la rue Vieille-du-Temple. Ou M. PolydoreGrosjean est son complice, ou bien il m’a donné une adresseréelle.

Tel avait été le raisonnement deM. Lépervier.

Cependant, au lieu de se transporterdirectement rue Vieille-du-Temple, il avait fait un léger détour etpassé à son bureau pour y prendre deux autres agents.

Montgeron et Casimir de Noireterrel’accompagnaient toujours.

Moins d’une heure après, M. Lépervier,laissant tout son monde dans la rue, se présentait seul auconcierge du n° 69 bis.

Il avait cru devoir prendre un déguisement ets’habiller en commissionnaire porteur d’une lettre.

– Madame Lévêque ? demanda-t-il auconcierge.

Ce dernier, qui était au fond de sa loge,accourut et répondit :

– Elle n’y est pas.

– Savez-vous si elle rentrerabientôt ?

– Elle ne rentrera pas.

– À quel étage demeure-t-elle ?

– Au troisième, au fond de la cour. Maisil n’y a personne ; elle est partie ce matin en me disantqu’elle allait en voyage pour huit jours !

M. Lépervier comprit qu’il fallaitdécliner sa qualité.

Il annonça donc au concierge qu’il était agentde police et muni d’un mandat de perquisition.

Le concierge donna sans difficulté les clés del’appartement.

Alors, M. Lépervier appela sescompagnons, et tous montèrent à l’appartement indiqué, à la grandeémotion du concierge, qui répétait, en joignant les mains, quemadame Lévêque était la plus honnête des femmes.

L’appartement était tout petit, meublé sansluxe, et indiquait une femme de moyen état.

Mais à peine M. de Montgeronétait-il entré qu’il aperçut un portrait dans la chambre àcoucher.

Ce portrait était celui d’un ouvrier, si on enjugeait par les vêtements.

Mais c’était aussi celui deM. de Maurevers, si on regardait le visage.

– Lui ! toujours lui !murmura-t-il.

En même temps, M. Lépervier trouvait surun guéridon une lettre cachetée qui portait cettesuscription :

 

À monsieur le vicomte de Montgeron.

 

– Voyez ! dit-il, en la luitendant aussitôt.

Montgeron prit la lettre et l’ouvrit.

Elle était signée : la BelleJardinière, et l’écriture en était élégante et fine :

 

« Monsieur,

« Cette lettre vous parviendra, j’en suissûre, et peut-être la trouverez-vous vous-même à la place où je lalaisse.

« Vous avez voulu pénétrer un mystère,et, pour cela, vous vous êtes adressé à la police.

« Ni la police, ni vous, ne saurez jamaisla vérité.

« Vous me chercherez vainement. Pas plusvous, que M. Lépervier ne me trouvera.

« D’ailleurs, vous ne me connaissez nil’un ni l’autre.

« Un seul homme m’a vue, et cet homme,M. Gustave Marion, est fou.

« Monsieur le vicomte, laissez-moi vousdonner un conseil.

« Vous êtes jeune, vous êtes riche, vouspouvez vivre heureux et atteindre une vieillesse respectable.

« Ne compromettez rien de cela par unecuriosité imprudente qui pourrait amener pour vous unecatastrophe.

« La police, que je défie, finira par selasser de chercher inutilement M. de Maurevers mort ouvivant.

« Faites comme la police.

« C’est au nom de l’amitié qu’avait pourvous le marquis de Maurevers que je vous parle.

« Je quitte Paris.

« Peut-être n’y reviendrai-je jamais.

« Peut-être aussi nous rencontrerons-nousvingt fois tête à tête, et ne saurez-vous pas qui j’ai été.

« Adieu, monsieur de Montgeron, suivezmon conseil. C’est une femme qui a ardemment aimé votre ami quivous le donne.

« Votre servante,

« LA BELLE JARDINIÈRE. »

 

Les perquisitions minutieuses opérées parM. Lépervier dans l’appartement n’amenèrent aucune découverte.Il ne trouva ni lettres, ni papiers, ni rien qui pût mettre sur lestraces de la Belle Jardinière.

L’agent Manuel revint de Londres huit joursaprès.

Il n’avait pu, en dépit des efforts de lapolice anglaise, retrouver le cadavre qu’on disait être celui dumarquis Gaston de Maurevers.

Tout Paris connut cette aventure et s’enémut.

La police française rechercha la BelleJardinière inutilement.

M. Polydore Grosjean, mis en étatd’arrestation, fut relâché au bout de huit jours.

La figure de cire représentée à tous ceux quiavaient connu M. de Maurevers, fut reconnue par les unset niée par les autres.

Il s’éleva même des doutes sur cetteressemblance qui avait frappé si fortM. de Montgeron.

L’agent Manuel prétendit qu’elle n’avait aucunrapport avec le cadavre volé à Londres.

Plusieurs mois s’écoulèrent.

Les recherches de la police se ralentirent,puis cessèrent tout à coup.

Cependant, au bout d’un an, une nouvellerumeur se fit dans le monde où avait vécu M. de Maurevers.

Un jeune officier de la marine anglaiseprétendit avoir rencontré aux Indes le marquis parfaitementvivant.

Enfin, à la même époque, l’agent de policeManuel, atteint par un camion dans une rue encombrée de voitures,fût écrasé et transporté à l’Hôtel-Dieu, mourant.

Mais, avant de rendre le dernier soupir, ildemanda avec insistance à voir le préfet de police. Ce hautmagistrat se rendit à l’Hôtel-Dieu et reçut sa confession.

Cette confession avait-elle trait à ladisparition du marquis Gaston de Maurevers ?

Mystère !

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