Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 32

 

Le manuscrit de Turquoise.

(Suite.)

José Minos avait vieilli, c’est-à-dire que sabarbe était blanche.

Mais son œil conservait tout l’éclat de lajeunesse, sa voix était toujours impérieuse et sonore, et il étaitdepuis vingt ans le chef respecté de la montagne.

Mina lui avait écrit pour lui demander, àtitre de service, de laisser passer un parlementaire qu’il envoyaità Cabrera.

Cabrera lui avait demandé un service à peuprès semblable.

José Minos, au commencement de la lutte,s’était demandé s’il deviendrait carliste ou christino.

Les fumées de la guerre civile lui étaientmontées à la tête.

Mais cette effervescence dura peu.

C’était un homme de bon sens que JoséMinos.

– Les rois, s’était-il dit, ne valent pasla peine qu’on se batte pour eux. Détrousser les voyageurs estencore le plus honnête des métiers.

Et, tout en se montrant très fier d’avoir eudes relations avec Cabrera et Mina, il était resté bandit.

Du reste, il vivait entouré d’une espèce decour.

Autrefois, quand il était plus jeune, JoséMinos s’en allait, la nuit, rôder autour des villages, la guitaresous le bras et faire l’amour à l’espagnole.

Maintenant, il était toujours galant, mais ilavait simplifié l’amour.

Une troupe de Bohémiens nomades passait unjour sous le canon de ses bandits.

José Minos les fit arrêter.

Il y avait six hommes et quatre femmes dontdeux jeunes filles, l’une de quatorze ans, l’autre de dix ans.

Le bandit fit fusiller les six hommes etgarder les quatre femmes.

Il se maria avec l’une, à la façon de Bohême,c’est-à-dire en cassant une cruche, laissa ses soldats tirerl’autre au sort, offrit la jeune fille de quatorze ans à sonlieutenant Pedro, qui la refusa, sous le prétexte que son cœurn’était pas libre.

– C’est bien, dit-il alors, je la gardepour moi.

Et il introduisit ainsi la polygamie dans lamontagne. Quant à la petite fille de dix ans, il la fiança àPerdito.

Qu’était-ce que Perdito ?

Si nous nous reportons à cette nuit pendantlaquelle José Minos, qui s’attendait à être pendu le lendemainavait été conduit en présence du colonel duc de Fenestrange, nousle devinerons, peut-être.

Perdito était l’enfant adopté par José Minos.La pension était régulièrement déposée chaque année à la poste deBayonne, sous forme de lettre chargée.

Le colonel avait tenu ses promesses.

José Minos tenait les siennes.

Il avait élevé Perdito en conscience.

– Fais-en un bandit comme toi avait ditle colonel.

Et José Minos n’avait eu garde d’ymanquer.

Il avait fini par aimer Perdito comme sonfils, et il lui avait inculqué ses meilleurs principes.

À quatorze ans, Perdito était déjà cruel etféroce.

Quand José Minos ordonnait qu’on mît à mortquelque prisonnier qui se refusait de payer rançon, Perditodemandait comme une faveur de lui brûler la cervelle lui-même.

La Bohémienne de dix ans, – elle en avaitbientôt douze – était pareillement une enfant pleine depromesses.

Elle aimait Perdito, elle était fière desexploits du jeune bandit.

Elle brûlait de lui montrer un jour ou l’autrequ’elle était digne d’être sa fiancée.

José Minos adorait ces deux enfants ; illes considérait comme son œuvre.

Pendant les heures chaudes du jour, le banditse couchait sous l’ombre d’un arbre et tandis qu’il fumait sacigarette, l’enfant lui chantait un de ces airs bizarres, aveclesquels les Bohémiens sont bercés.

La nuit, au bivouac, Roumia, c’était son nom,– et ce nomvoulait dire fille de Bohémienne, – Roumia couchait, auxpieds de José Minos comme on chien fidèle.

Roumia et Perdito étaient les seuls êtres dela bande qui puissent, jusqu’à un certain point, balancerl’influence du lieutenant Pedro.

Or, cette nuit-là, José Minos n’avait pudormir.

Il méditait une expédition sur un villagevoisin, et voulait s’emparer de l’alcade, qui était riche etpourrait payer une forte rançon.

Dès la veille, il avait choisi les bandits quidevaient l’accompagner et recommandé à Pedro qui, chaque nuit,descendait à Ojaca, de rentrer avant le point du jour.

José Minos était donc sur pied bien avantl’aurore, et la vallée était encore plongée dans l’obscurité,lorsqu’un des bandits placés en patrouille à l’extrémité, se repliavers le bivouac et annonça qu’on voyait dans le lointain unevoiture de voyage et qu’on entendait les grelots des mules.

Perdito, qui était encore allongé sur le sol,auprès du brasier, se leva d’un bond et mit la main sur sonespingole.

– Ah ! ah ! fit José Minos, tuveux te mêler de cette affaire ?

– Oui, père, répondit Perdito.

– Je vais avec toi, dit Roumia.

– Non pas, dit José Minos, les gens de lavoiture sont armés certainement, et il y aura des coups depistolet.

– Tant mieux ! dit-elle, les yeuxpleins d’éclairs.

– Père, dit Perdito, les jeunes lionnessuivent leurs mères au combat.

– Allez donc, mes enfants, dit José Minosavec indulgence.

Et il se mit à fumer sa cigarette.

**

*

Un quart d’heure après, Roumia revenaitseule.

Elle avait l’œil en feu ; les cheveux auvent, la lèvre irritée :

– Padre, dit-elle, tu ne saispas ?

– Quoi, donc ?

– Perdito et Pedro se querellent.

– Pourquoi ?

– Pedro a pris sous sa sauvegarde lesvoyageurs de la berline.

José Minos fronça le sourcil.

– Perdito veut en tuer un.

– Est-ce qu’il refuse de payerrançon ?

– Ce n’est pas cela.

– Qu’est-ce donc ?

– Ce voyageur est un jeune homme quiressemble trait pour trait à Perdito.

José Minos tressaillit.

– Et, dit Roumia avec orgueil, Perdito araison de ne pas vouloir qu’un homme lui ressemble.

– Oh ! oh ! fit José Minos,voilà qui est curieux. Voyons donc !

Et il prit son espingole et s’avança d’un paslent et mesuré vers la berline de la marquise de Maureversqu’entouraient une vingtaine de bandits.

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