Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 8

 

Tippo-Runo, – continuait le manuscrit deRocambole, – était, après le rajah Osmany, le plus grand dignitairedu pays, et résister à ses ordres ne m’était possible, à larigueur, que si j’avais été à la tête des troupes dont j’avais lecommandement.

Néanmoins, je flairais un piège.

Que pouvait me vouloir cet homme, qui m’avaitdonné, à plusieurs reprises, des marques de son aversion et de sonantipathie ?

J’étais monté à cheval, n’emmenant avec moiqu’une faible escorte de cavaliers et de serviteurs, et je cheminaiune partie du jour côte à côte, aux bords du Gange, avec lemessager de Tippo-Runo.

Il s’était présenté seul, et je fus quelquepeu surpris, vers le soir, en arrivant à la lisière d’une de cesforêts magnifiques qui mirent leurs arbres gigantesques dans lesflots du Gange, je fus un peu surpris, dis-je, de voir une troupenombreuse d’hommes à cheval ou montés sur des éléphants quiparaissaient m’attendre.

– Qu’est-ce que cela ? demandai-je àmon guide.

Ce sont des gens de guerre que Tippo-Runoenvoie à ta rencontre, pour te faire honneur, me répondit-il.

– Ou pour me faire prisonnier,pensai-je.

Et, dès lors je me fiai à mon étoile, à cetteétoile mystérieuse qui me protège depuis que j’ai changé de vie etque le repentir est dans mon âme.

L’escorte s’était refermée autour de moi et demes cavaliers.

Le messager de Tippo-Runo n’aurait eu qu’àfaire un signe pour que nous fussions écrasés et broyés sous lespieds des éléphants.

Cependant, après avoir cheminé une partie dela nuit, nous arrivâmes sains et saufs à la résidence deTippo-Runo.

Le terrible et puissant ministre m’attendait,couché sur une natte de paille de riz, en une salle où des esclavesbrûlaient des parfums et dont une fontaine jaillissanterafraîchissait sans cesse l’atmosphère.

À ma vue, il se leva, vint à moi avecempressement et me tendit la main à l’anglaise.

Puis il ordonna qu’on nous laissât seuls.

Quand ses officiers et ses esclaves furentsortis, Tippo-Runo changea subitement d’attitude, de manières et delangage.

Il s’assit à l’européenne, et m’indiquantpareillement un siège, il me parla en français.

– J’ai voulu vous voir, me dit-il, parceque je suis convaincu que nous allons nous entendre.

Je le regardai et j’attendis.

– Vous êtes Français ? medit-il.

– Oui, répondis-je.

– À trois mille lieues de son pays, unFrançais est toujours un aventurier.

Et il eut un sourire quelque peudédaigneux.

– Je n’en veux pour preuve, ajouta-t-il,que votre arrivée à la cour du rajah et votre entrée dans sonarmée.

– Soit, lui dis-je, je suis unaventurier.

– C’est pour cela que je vous répète, medit-il en souriant, que nous allons certainement nous entendre.

J’attendis encore.

Sa physionomie cauteleuse et rusée avait pristout à coup une grande expression d’énergie.

– Écoutez, reprit-il, le rajah Osmany estun prince puissant, en apparence tout au moins.

– Et un peu en réalité, sans doute,dis-je avec fermeté.

– Mais, continua-t-il la puissance d’unprince indien qui a l’Angleterre à sa porte, est sujette à bien desvicissitudes.

– Dieu merci ! répondis-je, le rajahpeut résister longtemps.

– Vous croyez ?

– Et à moins qu’il ne soit trahi…

– Ah ! dit-il, vous pensez alorsqu’il peut être trahi !

– Ne l’a-t-il pas été déjà ?

Et je le regardai fixement.

Il jeta loin de lui le cigare qu’il fumait etme dit avec un accent de dédain suprême :

– Tu penses bien, aventurier, que si jet’ai fait venir, c’est pour parler avec toi à cœur ouvert. Je saisce que tu penses de moi…

– Ah !

– Tu es convaincu que j’ai trempé dans laconspiration du fils de Nijid-Kouran.

– Je pense mieux que cela, Tippo-Runo,répondis-je, mon regard dans ses yeux.

– Voyons ?

– Je pense que c’est toi qui as ourdi laconspiration.

– Tu as raison, me dit-il froidement.

– Eh bien, que veux-tu de moi ?

Et j’étais calme et froid et paraissais peu mesoucier de sa puissance en parlant ainsi.

– Ce que je désire, me répond-il, c’estd’abord te raconter mon histoire.

– J’écoute.

– Je ne suis pas Indien, je ne m’appellepas Tippo-Runo, continua-t-il.

– Je le sais, vous êtes Anglais.

– Ah ! tu sais cela ?

– Vous vous nommez le major sir EdwardsLinton.

– Je vois que tu es bien informé ;alors suppose une chose.

– Laquelle ?

– C’est que je suis resté fidèle àl’Angleterre.

– Vous ?

Et je ne pus m’empêcher de prononcer ce motavec un accent de dédain suprême.

– Oui, reprit-il, depuis dix ans, je suisdemeuré Anglais.

– En livrant à l’Angleterre des bataillessans doute ?

– Qu’importent les moyens, si le butpoursuivi est enfin atteint !

– Excellence, lui dis-je, je n’ai que peud’habitude pour deviner les énigmes.

– Alors, écoute-moi.

Et il poursuivit avec un grandcalme :

– Nijid-Kouran était un petit prince, etl’Angleterre l’eût facilement écrasé.

– C’est pour cela que vous avez aidé sonfrère Osmany à devenir tout-puissant ?

– C’est-à-dire que je me suis servid’Osmany pour asservir tous les petits princes rebelles àl’Angleterre.

– Bon !

– Il a réuni dans ses mains tous lespeuples épars qui faisaient à l’Angleterre une guerre de partisans.Maintenant, il suffit d’une bataille rangée pour que l’Angleterreextermine cette agglomération, et détruise à jamais la puissance durajah.

Il s’arrêta un moment et me regarda :

– Eh bien ! demandai-je, oùvoulez-vous en venir ?

– Tu vas le savoir, me répondit-il.

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