Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 20

 

L’Espagnol avait la mine effrayée et piteused’un homme qui veut se soustraire à la mort par tous les moyenspossibles.

Aussi répéta-t-il :

– Et quand vous saurez tout, vous meprotégerez ?

– Oui.

– Vous me cacherez ?

– Oui, dit encore Marmouset.

– Ah ! j’ai peur… dit-il.

Et ses dents claquaient et toute son attitudetémoignait d’une angoisse profonde.

– Mais parle donc, puisque tu n’es qu’unvalet ! s’écria Marmouset.

– Eh bien ! reprit-il, la BelleJardinière s’appelle Roumia.

– Nous savons cela.

– C’est la maîtresse de Perdito que lemarquis de Maurevers a tué.

– Et qu’est-il devenu lemarquis ?

– Elle l’a avec elle.

– Il est donc vivant ?

– Oui. Si on appelle vivre être en l’étatoù il est.

– Comment est-il donc ?

– Abruti et fou. Il passe du rire auxlarmes, de la joie à la tristesse et il souffre mille morts chaquejour. Son existence est un supplice sans fin.

Il parut effrayé et ajouta :

– Et le sort du marquis est réservé à sonenfant, à vous et à cette dame qui est déjà au pouvoir de laBelle-Jardinière.

– Elle ne nous tient pas encore, murmuraMarmouset.

– Il ne faut pas lutter avec elle,poursuivit l’Espagnol ; il ne faut pas la traiter comme unefemme ; c’est une bête féroce : il faut la tuer.

– Pour la tuer, dit froidement Marmouset,il faut que je sache où elle est.

– Je vous l’ai dit : àSaint-Mandé.

– Seule.

– Oh ! non, avec deux hommes, avecdeux bohémiens qui lui sont dévoués corps et âme, mais je sais lemoyen de la tuer sans que les bohémiens puissent la défendre.

– Voyons ?

– Écoutez, reprit l’Espagnol ; lamaison de Saint-Mandé est double.

– Comment cela ?

– En haut, c’est-à-dire à partir du sol,c’est une maison neuve dont la construction n’est pas achevée etqui n’est pas habitée.

– Bon !

– Mais il y a un vaste sous-sol disposécomme un véritable palais, et c’est dans ce sous-sol qu’est laBelle Jardinière avec ses jardins et ses victimes ; mais vousferiez bien vingt fois le tour de la maison, vous la parcourriezdans tous les sens, à l’extérieur, que vous ne devineriez pasl’intérieur, que vous ne devineriez pas l’existence dusous-sol.

– Ah ! fit Marmouset, qui continuaità regarder l’Espagnol dans le blanc des yeux.

– La grille du jardin est ouverte,poursuivit celui ci vous entrerez et vous irez jusqu’au puits quise trouve au milieu.

– Après ? fit Marmouset.

– Quand vous serez là, vous vouspencherez sur la margelle et vous sifflerez.

Un coup de sifflet vous répondra du fond dupuits. Marmouset commençait à écouter avec une certaineavidité.

– Après le coup de sifflet, vous tâcherezde contrefaire ma voix et vous crierez :Figurrera !

C’est le mot de passe.

Alors, vous verrez le fond du puits, qui estsans eau, s’éclairer, et la Belle Jardinière paraître. Vous avezvotre revolver… le reste vous regarde…

– Mais le sous-sol ?… demandaMarmouset.

L’Espagnol répondit :

– Le sous-sol est en communication avecle puits par un boyau souterrain. C’est par là que j’entre etsors.

Marmouset garda un moment de silence.

Il délibérait en lui-même sur la question desavoir s’il était plus prudent d’emmener l’Espagnol avec lui pourvérifier l’exactitude de ses assertions et s’assurer qu’on ne luitendait pas un nouveau piège ou de le laisser sous la garde deMilon.

Il se décida pour ce dernier parti.

– Écoute-moi bien ! dit-il àl’Espagnol ; à ton estime, que faut-il de temps pour aller àSaint-Mandé et en revenir ?

– Deux heures.

– J’en prends quatre, poursuivitMarmouset. Mais si dans quatre heures je ne suis pas revenu, tu esun homme mort.

Et Marmouset sortit, et revint au bout dequelques minutes, apportant un paquet de cordes qu’il jeta à Milon,en lui disant :

– Tu vas me ficeler monsieur, lui lierles bras et les jambes, et rester avec lui.

– Bon ! dit Milon qui se mit àgarrotter l’Espagnol, lequel, du reste, n’opposa aucunerésistance.

– Il est dix heures du soir à cettependule, dit Marmouset.

– Oui.

– Si, au moment où deux heures du matinsonneront, jene suis pas de retour, tu tueras monsieur.

– C’est bien, répondit Milon avec lecalme d’un soldat prussien qui reçoit une consigne.

Alors Marmouset laissa Milon et son prisonnierdans la petite salle du rez-de-chaussée et dit à son cocher quiétait demeuré sur son siège, prêt à partir :

– Prends une paire de pistolets et faismonter le palefrenier à côté de toi.

Le cocher était un robuste gaillard surl’énergie et le dévouement duquel Marmouset pouvait compter.

**

*

Marmouset partit, Milon ferma la porte auverrou.

Puis il plaça son fauteuil devant la porte etles yeux fixés sur la pendule, il attendit, plein d’anxiété, leretour du jeune homme et de Vanda.

L’Espagnol était couché sur le tapis, la facecontre terre, et les liens qui le serraient aux bras et aux jambeslui interdisaient tout mouvement.

Onze heures sonnèrent, puis minuit, puis uneheure du matin.

Marmouset ne revenait pas.

Milon commençait à froncer le sourcil,lorsque, tout à coup, la bougie unique qui brûlait sur la cheminées’éteignit par une cause toute naturelle du reste.

Elle était arrivée à la bobèche, l’avait faitéclater et comme elle était au bout, la mèche s’était noyée dans lacire liquéfiée.

Milon chercha dans sa poche le briquet qu’ilavait habituellement, pour allumer une autre bougie, et, ne letrouvant pas, il prit le parti de tirer le verrou de la porte et depasser dans la pièce voisine qui était la salle à manger et danslaquelle il trouverait certainement, des allumettes sur lepoêle.

Comme l’Espagnol était solidement garrotté,Milon ne vit aucun inconvénient à le laisser seul un moment.

Mais ce moment suffit à l’Espagnol pour faireun soubresaut et se laisser retomber lourdement sur lapoitrine.

Une vessie qu’il avait sous ses vêtements secreva alors, et une liqueur mystérieuse se répandit sur le parquet,laissant échapper une odeur qui saisit Milon à la gorge lorsqu’ilrevint.

– Mais que sent-il donc ici ? dit lecolosse.

Et il trotta une allumette sur le parquet.

Soudain ce phénomène étrange rapporté dans lemanuscrit de Turquoise et qui avait occasionné l’incendie de lavilla de Saint-Cloud, se reproduisit.

La liqueur mystérieuse se volatilisa et pritfeu ; et soudain la salle fut envahie par les flammes, etMilon en fut environné.

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