Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 17

 

Marmouset avait essayé, de son côté, dequestionner M. de Montgeron.

Avec qui et pourquoi se battait-il ?

Montgeron lui avait dit :

– Mon cher ami, mettez que je me batsavec le mari d’une femme que j’aime et restons-en là.

Cette réponse avait dérouté Marmouset, tout enparaissant au contraire, le mettre sur la voie.

Il s’était figuré queM. de Montgeron était allé au rendez-vous donné par lafemme aux cheveux roux, et qu’il avait été surpris et provoqué parle mari.

Était-ce une trahison du hasard ?

Était-ce un piège tendu par cette femme sur lecompte de laquelle le baron Henri s’était si cavalièrement expriméà l’Opéra ?

Marmouset se posa la question sans pouvoir larésoudre, tandis que M. de Montgeron le conduisait chezM. de Noireterre, à qui il allait demander de lui servirde second témoin.

Pendant tout le trajet il se répéta la mêmedemande.

Il essaya même encore, par quelques allusions,d’arracher le secret de cette rencontre àM. de Montgeron.

Mais le vicomte ne souffla mot, etM. de Noireterre, pas plus que Marmouset, ne sut le nomde l’adversaire.

Ce ne fut que lorsqu’ils eurent franchi lagrille du pavillon de Madrid où était le rendez-vous, que Montgeronleur dit à tous deux :

– Messieurs, j’exige de vous unserment.

– Parlez, dit Noireterre.

– Quelle que soit l’issue de cetterencontre, vous allez me jurer de ne jamais chercher à savoirpourquoi je me suis battu.

– Mais, c’est donc un duel à mort ?demanda Noireterre.

– À mort, répondit froidementMontgeron.

Marmouset et M. de Noireterreprêtèrent le serment qu’il exigeait.

En ce moment le fiacre qui renfermait le baronHenri et ses témoins arriva.

Mais il n’entra point à Madrid ; ildemeura au contraire, dans le bois, à la grille de l’octroi, etseul, un des officiers mit pied à terre et vint à la rencontre desdeux témoins de M. de Montgeron.

– Messieurs, leur dit-il, je connais àcent pas d’ici un fourré où nous serons fort bien.

Marmouset et Noireterre s’inclinèrent.

Puis ils regagnèrent leur voiture, sans mêmeque le nom de l’adversaire de Montgeron eût été prononcé, et sansqu’ils eussent aperçu le baron Henri demeuré dans le fiacre avecson second témoin.

Ce ne fut que lorsque les deux voituress’arrêtèrent à l’entrée d’une allée des piétons qui conduisait aufourré indiqué, que Marmouset tressaillit et s’arrêta court, envoyant le baron mettre pied à terre.

Il avait reconnu le personnage de l’orchestrequi s’exprimait sur la femme aux cheveux roux avec un si granddédain.

Et soudain il serra le bras à Montgeron et luidit vivement :

– C’est donc là votreadversaire ?

– Oui.

– Montgeron…

– Eh bien ?

– Avant de vous battre, ne voulez-vouspas m’écouter une minute ?

– À quoi bon !

– Montgeron… il le faut !

– Et si je ne le veux pas, moi ?

– Mon ami… je vous en supplie…

Mais Montgeron se dégagea de l’étreintefiévreuse de Marmouset.

– Allons, messieurs, dit-il,dépêchons-nous, je vous prie.

Marmouset ne se tenait cependant pas pourbattu.

– Montgeron, disait-il à voix basse, jedevine maintenant pourquoi cette femme vous a donné unrendez-vous.

– Ah !

– C’était pour vous prier de provoquer lebaron de C…

– Après ?

– Montgeron, vous ne pouvez vousbattre…

Le vicomte eut un éclat de rire.

– Bon ! dit-il, allez-vous pas meproposer un arrangement sur le terrain ?

Marmouset pâlit. D’un mot,M. de Montgeron lui avait fermé la bouche.

Ce dernier s’approcha deM. de Noireterre et lui dit tout bas :

– Casimir écoute bien mes volontés. C’estun duel à mort que je veux.

– Soit, dit le jeune homme en baissant latête.

Et il rejoignit les témoins du baronHenri.

Les conditions furent réglées en quelquessecondes. Elles étaient terribles.

Les adversaires devaient d’abord se battre aupistolet.

Placés à trente pas, avec la faculté de fairecinq pas, ils échangeraient deux balles chacun.

Si cette première rencontre n’amenait pas derésultat décisif, on continuerait le combat à l’épée.

Marmouset suivait du regard le jeu dephysionomie de M. de Montgeron, dont le visage s’éclairalorsque M. de Noireterre lui rapporta ces conditions.

Aucune explication n’était possible désormais.Il fallait attendre.

Les officiers, selon leur droit de témoins del’offensé chargèrent les armes.

Il avait été convenu que ces messieurs seserviraient de leurs pistolets.

Puis on compta les pas et chacun d’eux prit saplace.

Marmouset était pâle et avait le pressentimentd’une catastrophe.

Ce fut un des officiers qui donna lesignal.

Le baron Henri fit deux pas, ajusta et fitfeu.

M. de Montgeron ne bougea pas. Laballe de son adversaire avait passé un pouce au-dessus de satête.

Cependant le vicomte n’ajusta point, ilattendit le second coup de feu de son adversaire.

Le baron tira de nouveau.

Cette fois le bras levé de Montgeron retombabrusquement.

La seconde balle du baron Henri lui avaitfracassé l’épaule droite et rendait l’usage de son brasimpossible.

Mais, de la main gauche, Montgeron ramassa sonpistolet, marcha ensuite ses cinq pas et fit feu.

Le baron ne fut pas atteint.

Montgeron poussa un cri de rage et tira sonsecond coup.

Cette fois le baron chancela ; mais il netomba point.

Les témoins accoururent.

Montgeron avait le bras droit cassé ;M. de C… avait une balle dans la cuisse.

– Assez, messieurs, dit un desofficiers.

– Non pas, dit Montgeron ; à l’épée,maintenant.

– Mais, Montgeron, observa Marmouset,vous ne pouvez vous servir de votre bras droit.

– Je suis gaucher. Et à moins queM. de C… ne se trouve hors de combat ?

– Je ne souffre pas, et je suis encoresolide sur mes jambes, répondit le baron avec calme.

Devant l’exaltation furieuse de Montgeron, lestémoins ne pouvaient que céder.

On apporta les épées, et le combatrecommença.

La lutte fut longue et acharnée.

Montgeron était de première force et il avaitun avantage, celui de tenir son épée de la main gauche.

Le baron perdait beaucoup de sang etcommençait à chanceler.

Mais la fureur de Montgeron allait croissant.Il ne se battait plus comme on se bat sur le terrain ; iltirait avec l’impétuosité imprudente qu’on déploie dans les sallesd’armes.

Tout à coup on entendit un double cri.

Montgeron s’était fendu et, en se fendant, ils’était enferré sur l’épée du baron.

Mais la sienne avait disparu jusqu’à la gardedans la poitrine de son adversaire, et tous deux s’affaissèrent surl’herbe en même temps.

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