Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 7

 

Le marquis de Maurevers rentrait donc chezlui.

Il était resté au cercle un peu plus tard quede coutume et, contre son habitude, il avait joué et gagné.

Son portefeuille contenait une vingtaine demille francs et son porte-monnaie une trentaine de louis.

Le vicomte de Montgeron, le voyant sortir, luidit en riant :

– Puisque tu nous as dévalisés, il fautau moins que l’espérance de te reprendre notre argent noussoutienne.

Or, pour que tu nous le rendes demain soir, ilne faut pas qu’on t’assassine en chemin. Je vais te conduire.

– Comme tu voudras, avait répondu lemarquis.

Il était assez gai ce soir-là, et le souvenirde la gitana Roumia semblait s’effacer de son esprit.

Ils suivirent donc les boulevards jusqu’à laMadeleine, causant de mille choses, et fumant un cigare.

Puis, arrivés à la porte de l’hôtel, ils seséparèrent en se disant : À demain !

M. de Montgeron s’en alla et lemarquis sonna.

Ordinairement le suisse ne se levait pas, etle marquis qui était un homme simple prenait sur la croisée de laloge un flambeau qu’on lui laissait tout allumé.

Mais, cette fois, il ouvrit la porte et dit aumarquis :

– Voilà une lettre pour monsieur. Elleest arrivée par la dernière distribution.

Maurevers prit la lettre, l’approcha duflambeau et tressaillit.

Elle portait également le timbre de Londres etl’écriture était exactement la même que celle de la première qu’ilavait reçue quelques mois auparavant.

Il l’ouvrit en tremblant, courut à la secondepage, et, cette fois, trouva une signature :

ROUMIA.

Alors, chancelant sur ses jambes, frémissantet pâle, il lut :

 

« Mon bien-aimé,

Il y aura demain soir à minuit deux ans quePerdito est mort.

Je suis libre et je puis vous aimer.

Si je vous tiens toujours au cœur, sortez dechez vous sans dire où vous allez.

Vous remonterez à la Madeleine, là voustrouverez un voiture de place attelée de deux chevaux dépareillés,l’un noir, l’autre blanc, et portant le numéro 1763.

Vous monterez dedans et direz aucocher :

– À Chaillot.

Quelques minutes après, vous serez dans mesbras. Celle qui vous aime à en mourir,

« ROUMIA ».

Tandis que le marquis lisait, le suisses’était recouché et n’avait pu être témoin de l’émotion de sonjeune maître.

Émotion muette et concentrée, du reste, qui nes’était traduite que par une pâleur subite et un tremblementnerveux.

Cependant le marquis hésita.

Un moment même le souvenir de Turquoise etcelui de son fils luttèrent avec énergie contre le souvenir del’enchanteresse.

Mais à ce dernier demeura la victoire.

Le marquis frappa au carreau du suisse et luidit :

– Je ressors et ne rentrerai probablementque demain matin.

Quand la porte de son hôtel se fut referméederrière lui, le marquis éprouva une nouvelle hésitation.

Où donc allait le conduire sadestinée ?

Il eut un moment la tentation de sonner denouveau et de rentrer brusquement chez lui.

Mais la rayonnante image de Roumia passadevant ses yeux et l’entraîna.

Il se mit à marcher d’un pas inégal et rapideen proie à une fièvre délirante et n’ayant déjà plus la raisonsuffisante à guider sa marche.

Un seul fiacre stationnait sur la place de laMadeleine.

Il était attelé de deux chevaux, un noir et unblanc.

Maurevers mit la main sur la poignée de laportière et demanda au cocher :

– Êtes-vous pris ?

– Cela dépend répondit ce dernier. Meschevaux sont fatigués.

– Même pour aller à Chaillot ?

– Montez !

Maurevers se dit :

– C’est bien celui qui m’attend.

Et il s’installa dans la voiture qui partit augrand trot.

Mais alors le marquis s’aperçut d’une choseassez bizarre.

Les vitres du fiacre qui marchait un traind’enfer, comme s’il eût été entraîné par des chevaux pur sang, cesvitres étaient dépolies et il était impossible de voir autravers.

Il voulut en baisser une et ne le put.

Il essaya d’ouvrir la portière, mais laportière résista.

Maurevers était prisonnier dans le fiacre, eton pouvait le conduire n’importe où sans qu’il sût la route qu’ilsuivait.

– Encore un mystère de cette femmemystérieuse entre toutes ! se dit-il.

Et il se résigna, en se souvenant de cetteexistence de délices étranges qu’il avait menée à Londres durantune semaine.

Le fiacre roula longtemps.

Puis, tout à coup la clarté confuse quipassait à travers les glaces dépolies s’éteignit et Maurevers setrouva plongé dans les ténèbres.

En même temps le bruit de la voiture éveillades échos sonores.

Maurevers comprit qu’elle passait sous unevoûte, puis elle s’arrêta.

Alors la portière s’ouvrit et une voix ditdans l’ombre :

– Vous pouvez descendre !

Maurevers mit pied à terre.

Les ténèbres s’étaient dissipées.

Il jeta un regard autour de lui et vit unjardin planté de grands arbres et entouré de murs qui fermaientl’horizon.

À l’extrémité de ce jardin un pavillon carréétait illuminé comme pour une fête.

Auprès du fiacre, une femme qui ne pouvaitêtre Roumia, car elle était si petite qu’on eût dit une naine, levisage couvert d’un masque, se tenait immobile.

Quand le marquis eut mis pied à terre, cettefemme s’approcha et lui dit :

– Voulez-vous me suivre, monsieur lemarquis ?

Le marquis tressaillit.

Cette voix qu’il venait d’entendre, c’étaitcelle de Roumia.

Et cependant Roumia était grande, et lemarquis avait devant lui une créature chétive et dont le corpsparaissait difforme.

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