Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 33

 

José Minos étant entré dans le cercle delumière décrit par le fanal de la berline, fût alors frappé, commela marquise de Maurevers, de l’étrange ressemblance existant entrePerdito et le jeune marquis.

Ce dernier était vêtu de noir et fortpâle.

L’autre portait le pittoresque costume mélangéde velours et de laine rouge que n’a point inventé l’Opéra-Comiqueet qui est bien celui des bandits espagnols.

Le marquis était tête nue.

Perdito avait un béret basque sur la tête.

Mais la ressemblance, malgré tout, était sigrande entre eux que José Minos, qui savait l’origine mystérieusede Perdito, ne douta pas un moment que ce ne fussent là les deuxfrères.

Des frères ennemis, en tout cas.

Car ils se regardaient face à face, d’un airde défi, sous les yeux de la marquise toute tremblante et neprévoyant pas ce qui allait arriver.

Perdito disait :

– De quel droit, chien de Français, tepermets-tu de me ressembler ?

Le marquis répondit :

– Je ne sais pas pourquoi je vousressemble, et c’est un étrange mauvais tour du hasard, mais je vousdéfends de porter la main sur moi.

Il n’avait cependant d’autre arme que sonregard ; mais ce regard plein de colère et de méprisexaspérait Perdito.

– Mon fils !… au nom du ciel !murmurait, éperdue, la marquise qui avait, comme le jeune homme,mis pied à terre.

– Ne craignez rien, madame, disait Pedroen mauvais français. Pedro donné parole, parole de Pedrosacrée.

– Voyons, de quoi s’agit-il ?demanda José Minos en fendant le cercle formé par les bandits.

Les bandits s’écartèrent avec obéissance etPerdito lui-même cessa de menacer le jeune marquis deMaurevers.

Ce fut le lieutenant Pedro quirépondit :

– Capitaine, dit-il, j’ai trouvé à Ojacacette dame et son fils. Comme vous pouvez le voir, elle est trèsmalade et les médecins l’envoient à Cadix.

Elle a un sauf-conduit des carlistes. Un autredes christinos. Mais il fallait traverser la montagne où vous seulêtes maître.

– Et tu l’as prise sous taprotection ?

– Oui, capitaine.

José Minos fronça le sourcil :

– As-tu donné taparole ?

– Oui.

– Alors ta parole sera respectée.

Et José Minos regarda sévèrement Perdito.

Celui-ci s’éloigna en murmurant.

Mais, à dix pas de distance, il se retourna etjeta un dernier regard de haine au jeune marquis de Maurevers.

Celui-ci répondit par un coup d’œil plein demépris.

Alors José Minos, qui parlait le français,s’adressa à la marquise de Maurevers :

– Madame, dit-il, la parole de monlieutenant vous suffit, vous sortirez de la montagne comme vous yêtes entrée, saine et sauve.

La marquise s’inclina, mais elle regardaitJosé Minos avec une curiosité ardente et celui-ci comprit qu’elleavait quelque chose à lui dire.

Le bandit était galant à ses heures.

Il offrit sa main à la voyageuse, la conduisitauprès du brasier, et d’un geste éloigna tout le monde.

– Monsieur, lui dit alors la marquise,vous êtes, je le vois, étonné comme moi de la ressemblance bizarrequi existe entre mon fils et ce jeune homme ?

– Oui, madame.

– Est-ce votre fils ?

– Non, dit le bandit.

– D’où vient-il ? Comment est-ilparmi vous ?

– C’est un secret que je ne puis violer,dit José Minos.

– Ah !

– L’homme qui me l’a confié a ma parole,ajouta le bandit.

– Mais au moins, monsieur, pourrez-vousme dire, continua la marquise d’une voix suppliante, depuis quelleépoque vous avez ce jeune homme avec vous ?

– C’était un enfant de six mois quand onme l’a confié. Il y a donc environ quatorze ans.

– C’est bien, cela, murmura madame deMaurevers qui se souvenait de la confession in extremis dela duchesse de Fenestrange.

Et si je devinais la vérité ?

José Minos la regarda.

– Si je vous disais le nom de l’homme quivous a confié cet enfant ?… Si je vous disais que ce doit êtreun Français, un Officier… le colonel de Fenestrange.

– Je ne puis rien dire, répliqua JoséMinos, impassible.

– Monsieur, acheva la marquise d’une voixsuppliante, un dernier mot, une dernière prière.

– Parlez, madame, dit le bandit ému decet accent, je ferai ce que je pourrai.

– Cet enfant ressemble à mon fils…

– C’est le vôtre, peut-être, dit JoséMinos.

– Non, mais c’est le fils de monmari.

– Eh bien ? fit le bandit.

– Sa mère a laissé pour lui une grandefortune, en France. S’il consentait à me suivre, vous yopposeriez-vous ?

Le bandit tressaillit, changea de couleur etfut tout à coup en proie à une violente émotion. Il aimait Perditocomme son fils.

Mais José Minos avait conservé quelquesinstincts généreux.

– Oui, dit-il enfin.

**

*

Une heure après, le soleil, dorait la cime desmontagnes et descendait dans la vallée.

On avait de nouveau attelé les mules à laberline de la marquise, et José Minos ordonnait à Pedro del’escorter avec dix hommes, jusqu’à la sortie de la montagne.

Ce fut alors que la marquise, se servant deJosé comme interprète, adressa la parole à Perdito.

Le jeune bandit continuait à regarder lemarquis de Maurevers avec colère.

– Monsieur, dit la marquise, je connaisvos parents. Voulez-vous me suivre en France ? Vous sereznoble, vous serez riche…

Il la regarda avec dédain.

– Et pourquoi vous suivrais-je ?dit-il.

– Mais parce que, répondit-elle, j’étaisl’amie de… votre père…

– Je n’ai d’autre père que JoséMinos.

– J’ai connu votre mère, reprit-elle avecdouceur.

Perdito haussa les épaules.

– Dans tous les cas, dit-il, la mère dontvous parlez, ce n’est pas vous.

Le marquis tressaillit.

– Ce n’est pas vous, ajouta le bandit,car on ne hait pas sa mère… et je vous hais, vous et votrefils…

Et il leva un œil plein de fureur sur le jeunemarquis de Maurevers.

Les deux frères ennemis avaient, dans ceregard suprême, échangé une provocation.

Chacun d’eux semblait dire à l’autre, aumoment où la berline de voyage se mettait en route :

– Nous nous reverrons !

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