Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 6

 

L’émotion mystérieuse qui venait de s’emparerde Vanda et de Marmouset avait réagi sur Milon, nature plusgrossière et moins impressionnable cependant.

L’histoire des pressentiments sera toujoursinexplicable.

Un monde d’esprits invisibles se meut-t-ilautour de nous ?

À de certaines heures l’âme humaine est-elledouée d’une finesse de perception plus grande ?

Mystère !

Et cependant ce coup de cloche qui venait dese faire entendre, qui pouvait être celui du premier venu,fournisseur ou visiteur, ce coup de cloche fit tressaillir Milonlui-même.

Tous trois se regardèrent.

Et sur les lèvres de tous trois un nom erracomme un souffle :

– Rocambole !

Il y avait deux ans que le navire étaitparti ; deux ans qu’on n’avait pas eu de ses nouvelles.

Si Vanda ne s’était endormie un soir sous lamain d’un magnétiseur, et si, dans son sommeil magnétique, ellen’avait affirmé avec énergie que Rocambole vivait, on eût eu lesmeilleures raisons du monde pour le croire mort.

Était-ce donc lui qui revenaitenfin ?

Marmouset fut le premier à dominer sonémotion ; il s’élança vers la porte et se trouva bientôt faceà face avec le visiteur.

Ce n’était pas Rocambole, – mais c’était unpersonnage bizarre qui tenait une lettre à la main.

Cet homme était évidemment un Indien, bienqu’il fût vêtu à l’européenne.

Son visage cuivré, ses cheveux d’un noirbleuâtre, ses dents blanches, son profil d’aigle, accusaient letype le plus pur de la race indoue.

Il s’inclina presque jusqu’à terre devantMarmouset, éleva ensuite ses deux mains au-dessus de sa tête ettendit la lettre dont il était porteur.

Marmouset la prit, y jeta les yeux et poussaun cri.

À ce cri Vanda et Milon accoururent.

Marmouset chancelait en tenant la lettre qu’iln’osait ouvrir.

Cette lettre portait pour inscription cesmots :

À Vanda et à Marmouset,

Avenue de Marignan, Paris.

Mais l’écriture, tous deux l’avaientreconnue ; c’était celle de Rocambole.

Et Vanda en brisa l’enveloppe etlut :

 

« Mes amis,

Vous devez avoir pris connaissance dumanuscrit de Turquoise. Vous savez maintenant qui est cette femmequ’on appelle la Belle Jardinière. Vous savez quel intérêt il y a àretrouver M. de Maurevers. Agissez.

Marmouset et toi, Vanda, vous êtes dignes demoi.

À l’œuvre donc !

Le Maître veille sur vous.

« ROCAMBOLE »

Cette lettre n’était pas datée.

D’où venait-elle ? De Paris ou du fond del’Inde ?

Vanda regarda l’Indien.

L’Indien avait un visage impassible.

– Mais, s’écria-t-elle, Rocambole estdonc à Paris ?

L’Indien ne répondit pas.

Marmouset lui prit le bras et lui dit d’unevoix émue :

– Au nom du ciel, dis-moi où est leMaître ?

L’Indien leva les yeux et eut un imperceptiblemouvement d’épaules.

Cela signifiait :

– Je ne sais pas ce que vous medites.

– Comprends-tu l’anglais ? demandaMarmouset.

L’œil de l’Indien s’éclaira d’un rayond’intelligence. Et Marmouset lui dit en anglais :

– Où est Rocambole ?

L’Indien renouvela sa pantomime.

Cette fois, elle signifiait clairement qu’ilne le savait pas, ou que, tout au moins, s’il le savait, il nepouvait le dire.

– Mais tu es donc muet ? s’écriaMarmouset.

L’Indien ouvrit sa bouche toute grande.

Et alors Vanda, Marmouset et Milon reculèrentd’horreur.

Cet homme avait la langue coupée.

– Qui donc t’a mis en cet état ?reprit Marmouset, Anglais ?

L’Indien secoua la tête.

– Est-ce les Étrangleurs ?

– Oui, fit-il d’un signe.

Puis, par une nouvelle pantomime, il fitcomprendra qu’on allait l’étrangler lorsqu’il a été sauvé presquemiraculeusement.

– Qui donc t’a sauvé ? demanda Vandaen anglais.

L’Indien mit son doigt sur l’enveloppe de lalettre, ce qui voulait dire :

– C’est Rocambole.

Et il fit un pas de retraite.

– Tu ne veux donc pas me dire où est leMaître ? s’écria Marmouset.

– Non, dit-il en secouant la tête.

Et, avec son index, il fit une croix sur sabouche.

– Respectons la volonté du Maître,murmura Milon.

– Oh ! dit Vanda avec désespoir, ilest près de nous, peut-être, et nous ne le verrons pas !

L’Indien salua, gagna la porte à reculons etsortit.

– Je saurai où il va, dit Vanda.

Et elle s’élança à sa poursuite.

L’Indien avait à peine franchi le seuil de lagrille, et Vanda s’imaginait qu’elle allait l’apercevoir dansl’avenue.

Vanda se trompait.

Quand elle eut franchi la grille à son tour,elle s’arrêta muette, consternée.

L’avenue était déserte et l’Indien s’étaitévanoui comme une fantastique apparition.

Alors, Marmouset qui avait suivi Vanda, luidit :

– Milon a raison. Si le maître nous donnedes ordres par écrit, c’est qu’il ne peut ou ne veut pas nous voir.Obéissons-lui, et à l’œuvre, car il faut dissiper enfin lesténèbres qui enveloppent la mystérieuse disparition deM. de Maurevers.

– À l’œuvre ! répétèrent Vanda etMilon.

**

*

Maintenant, ce que Vanda et Marmouset nesavaient pas, ce que le manuscrit de Turquoise n’avait pu leurapprendre, ce que Paris entier ignorait, c’est-à-dire le sort deM. de Maurevers, nous allons le raconter en laissant enarrière un pas de deux années, et en nous reportant à cette nuitfatale où M. de Maurevers, sortant du Club desAsperges, rentra chez lui, trouva une lettre chez leconcierge, l’ouvrit et la lut, ressortit ensuite et ne reparutplus.

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