Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 26

 

Marmouset, entraîné par cette femme dont laparole était brève, le geste impérieux, le rire ironique,commençait à se demander s’il n’était pas le jouet de quelquecauchemar ; lorsque la Belle Jardinière, poussa devant elleune nouvelle porte.

Cette fois le décor changeait.

Marmouset se crut au seuil d’une pagodeindienne. Des lampes mystérieuses projetaient des clartésvoluptueuses et tremblantes sur des murs tendus d’étoffes bizarres.Le sol était jonché de tapis moelleux.

Les angles garnis de piles de coussins.

Un parfum d’opium régnait dans cette pièce etmontait au cerveau.

Cette clarté mate qui baignait les objetscomme un rayon de lune avait quelque chose d’efféminé qui allait àl’âme et l’emplissait d’une sorte de mélancolie vague.

Marmouset sentit, en pénétrant dans cetétrange réduit, sa colère et son étonnement faire place à une sortede langueur et d’indifférence.

D’abord il ne vit que confusément les objetsqui l’entouraient.

La Belle Jardinière cessa de lui tenir la mainet il ne s’en aperçut pas.

Elle fit un pas en arrière, il n’y prit garde.Il ne s’était point aperçu que les deux hommes qui lesaccompagnaient tout à l’heure dans le cachot du vieux duc deFenestrange ne les avaient point suivis.

La Belle Jardinière recula jusqu’à la porte etdisparut.

Marmouset, se trouva seul et ne le remarquapoint.

Les peintures bizarres qui couvraient les mursde cette salle, lui rappelaient vaguement la pagode de Hampstead,dans laquelle Gipsy avait failli périr.

Tout, à coup, il lui sembla que la respirationd’un être humain se laissait entendre auprès de lui.

Puis il vit s’agiter quelque chose dans un desangles de la salle.

Enfin, un homme accroupi sur une pile decoussins lui apparut.

Cet homme avait l’attitude extatique desfumeurs d’opium.

Ses pommettes rouges, ses yeux caves et sansrayons, ses lèvres hébétées trahissaient l’abus du funestenarcotique.

Le tuyau d’un narguilé gisait auprès de luisur le tapis.

Marmouset s’approcha.

Cet homme, ce fantôme plutôt, car ce n’étaitplus qu’un être décharné, blanchi, tremblotant, ressemblaitcependant à ce cadavre devant lequel Marmouset s’était arrêté toutà l’heure.

Et Marmouset se dit :

– Ce doit être là le marquis deMaurevers.

Le fumeur d’opium s’agitait, mais ce n’étaitpas la présence de Marmouset qui causait cette agitation.

Tout entier à son rêve, insensible aux chosesextérieures, vivant en lui-même, il parlait d’amour à un êtreinvisible, devenu, palpable et réel pour lui seul.

– Oui, disait-il, je t’aime… et vivreavec toi pendant une éternité ne serait pas assez long encore… Etil étendait les bras et les ramenait sur la poitrine comme s’il eûtpressé un être réel.

Marmouset le contemplait avec une sorte destupeur.

Alors seulement il s’aperçut qu’il était seulet que la bohémienne n’était plus là.

Mais, presque aussitôt après, la porte serouvrit, et Roumia entra.

Le marquis continua à divaguer.

– Eh bien ! dit-elle en regardantMarmouset, qu’en penses-tu ?

Marmouset tressaillit ; il retrouva saraison et son sang-froid.

– Est-ce là Maurevers ! dit-il.

– Oui.

– Et c’est là ta vengeance !

– Oui.

Marmouset se prit à rire :

– Je te croyais plus vindicative, dit-ild’un air dédaigneux.

– Vraiment ?

– Cet homme est abruti, poursuivitMarmouset, mais, il n’est pas malheureux. Depuis longtemps la vieréelle est loin de lui, et il vit dans un rêve perpétuel ; lerêve, c’est la folie. La folie fait-elle donc souffrir ?

Roumia souriait et ne répondait pas.

Marmouset reprit :

– Tu détruis ce corps lentement, mais tun’as plus aucun pouvoir sur l’âme.

– Tu crois ?

– Cette intelligence éteinte n’a plusconscience des tortures que tu lui as infligées ; tu peux tuercet homme quand bon te semblera, il franchira le seuil de la mortsans s’en apercevoir.

– Tu es intelligent, ricana Roumia, ettout ce que tu dis est rigoureusement vrai, en apparence. Cependanttu te trompes.

– Comment ?

– Le marquis a des heures lucides.

Marmouset tressaillit.

– Des heures, poursuivit Roumia, où il sesouvient de son nom, de son enfant, de sa vie d’autrefois, desheures où il a horreur de moi et où, cependant, il m’aime plus quejamais.

– C’est impossible !

– Oui, car l’opium détruitl’intelligence.

– Tu as raison, mais j’ai le secret d’unréactif puissant qui détruit momentanément son effetstupéfiant.

Alors Roumia tira de son sein un flaconqu’elle déboucha.

Puis elle s’accroupit devant le narguilé etversa quelques parcelles d’une poudre blanchâtre que ce flaconrenfermait, dans le tuyau où brûlait un reste de narcotique.

En même temps, elle prit le tuyau, l’approchades lèvres de Maurevers hébété et lui dit :

– Fume !

Le pauvre idiot pressa de ses lèvres le tuyaufatal.

La Belle Jardinière regarda alors Marmouset etlui dit :

– Maintenant, tu vas voir…

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