Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 22

 

Rocambole était donc de retour.

Milon serrait ses mains, Milon pleurait etriait en le regardant.

Mais avant de les suivre tous deux, il nousfaut rejoindre Marmouset, qui venait à Saint-Mandé sur lesindications perfides de l’Espagnol.

Marmouset, on s’en souvient, avait emmené soncocher et le palefrenier, recommandant au premier d’aller bontrain.

Depuis qu’il était un homme élégant, riche àmillions, Marmouset avait des chevaux hors ligne comme vitesse.

On disait au Club des Asperges que sion avait connu ses chevaux dix ans plus tôt, le gouvernement ne seserait pas donné tant de mal pour construire des chemins defer.

Le cocher, rendît la main au magnifiquetrotteur qui fila comme une flèche, et vingt minutes après le coupés’arrêta devant ce cabaret dont la cave avait servi de prison àMilon.

Le cabaret était fermé.

En face, de l’autre côté de la route,s’élevait, la villa en construction.

Marmouset mit pied à terre.

Puis il dit au cocher :

– Donne les rênes au palefrenier quigardera la voiture, et viens avec moi.

Le cocher le suivit.

Ils poussèrent la grille du jardin qui étaitentre-bâillée, ainsi que l’avait dit l’Espagnol, et bien que lanuit fût assez obscure, Marmouset eut bientôt distingué quelquechose de blanchâtre qui s’élevait dans, un coin au dessus dusol.

C’était la margelle du puits.

– Tu es un garçon résolu, dit encoreMarmouset, et tu m’es dévoué.

– J’espère que monsieur n’en doute pas,répondit le cocher.

– Prends ces deux pistolets, en cecas ; peut-être en aurons-nous besoin.

– Mais où allons-nous,monsieur ?

– Tu vas le savoir.

Et Marmouset s’approcha du puits.

C’était un puits tout neuf, surmonté d’unappareil en fer auquel était adaptée une poulie.

Cette poulie servait à faire mouvoir deuxseaux, dont l’un remontait tandis que l’autre, descendait.

Marmouset tira de sa poche, une boîte debougies, en alluma une, dont il abrita la flamme tremblotante dansle creux de sa main, car il pleuvait toujours un peu et le vents’élevait.

Puis à l’aide de cette clarté, il examinad’abord l’intérieur du puits.

Les seaux lui parurent bien grands pourn’avoir d’autre destination que de puiser de l’eau.

Cette remarque semblait confirmer lesallusions de l’Espagnol, qui avait prétendu que c’était par lepuits qu’on pénétrait dans le sous-sol de la maison.

La bougie s’éteignit.

Marmouset en alluma une autre et la jeta dansle puits.

Si le puits était plein d’eau, elles’éteindrait sur-le-champ.

Le puits était à sec, car la bougie toucha lesol et brûla quelques secondes encore.

Penché sur la margelle, Marmouset put serendre compte alors de la profondeur qui était d’une quinzaine depieds à peine.

En même temps il aperçut fort distinctementune espèce d’ouverture pratiquée dans la maçonnerie au raz dusol.

C’était sans doute l’entrée du boyausouterrain dont l’Espagnol avait parlé.

Jusque-là tous les renseignements de cedernier étaient d’une exactitude rigoureuse.

En outre, Marmouset avait tellement été frappéde l’épouvante manifestée par l’Espagnol qu’il ne douta pas unmoment que, pour sauver sa vie, celui-ci ne se fût décidé à trahirla Belle Jardinière.

Et se conformant à ses instructions, ilattendit que l’allumette se fût éteinte ; puis se penchant surla margelle, il siffla.

Une minute s’écoula.

Au bout de ce temps un coup de sifflet montades profondeurs du puits.

Marmouset recula d’un pas et arma sonrevolver.

Puis il se pencha de nouveau sur la margelleet attendit.

Tout à coup une clarté se fit tout aufond.

C’était comme un rayon lumineux qui passe sousune porte.

Ensuite cette clarté grandit et occupa tout lepérimètre de cette ouverture que Marmouset avait aperçue.

Alors un bras passa par cette ouverture.

Et ce bras posa un flambeau au milieu dupuits.

Enfin une tête apparût à la suite du bras.

Marmouset, immobile, retenait son haleine.

Le cocher, non moins immobile, non moins muet,se tenait derrière lui.

La tête leva les yeux en l’air et fut suiviedans le puits par une partie du buste.

Marmouset vit alors distinctement cette têteque les rayons du flambeau éclairaient.

C’était une tête de femme couronnée d’unemagnifique chevelure blonde.

L’Espagnol n’avait pas menti – c’était bien laBelle-Jardinière.

Et Marmouset, qui réprima un battement decœur, s’enhardit dans cette opinion qu’il faut tuer les bêtesfauves partout où on les rencontre.

Et il allongea la main qui tenait le revolver,ajusta et fit feu.

**

*

Soudain, la lampe s’éteignit, un cri dedouleur se fit entendre et le puits demeura plongé dans lesténèbres.

Le cœur de Marmouset battait à rompre sapoitrine.

Il venait de tuer une femme.

Pendant quelques minutes, il demeura appuyésur la margelle du puits, pâle, frémissant, la sueur au front.

Le silence, un silence de mort, avait suivi cecri d’agonie.

La Belle Jardinière était-ellemorte ?

Marmouset regarda autour de lui.

Le coup de feu semblait n’avoir éveillé aucunécho. Aucune lumière ne brilla dans la maison enconstruction ; personne ne parut et le fond du puits continuaà demeurer plongé dans l’obscurité.

Alors Marmouset, qui avait fini par dominerson émotion, Marmouset regarda le cocher et lui dit :

– Es-tu prêt à me suivre ?

– Oui répondit-il.

– En ce cas, je vais descendre dans cepuits. Quand je serai au fond, tu descendras à ton tour.

Et, sautant sur la margelle, il se cramponna àla corde, mit les deux pieds dans le seau et se laissa couler,l’autre faisant contrepoids.

Le bruit du seau qui s’arrêtait avertit lecocher que Marmouset était arrivé.

– À ton tour ! lui criacelui-ci.

Le cocher descendit.

Alors seulement Marmouset eut de nouveaurecours à ses bougies.

Quand l’une d’elles fut enflammée, il sepencha sur le sol et remarqua des traces de sang.

L’ouverture par laquelle la tête de la BelleJardinière lui était apparue un moment, était assez grande pourlaisser passer un homme en se courbant.

Marmouset vit alors une espèce de galeriesouterraine en demi-cercle et construite en maçonnerie comme lepuits.

Les traces de sang continuaient dans cettegalerie.

Mais le corps de la Belle Jardinière avaitdisparu.

Sans doute qu’elle s’était traînée mourantetout au fond du boyau souterrain.

– Si tu as peur, dit Marmouset au cocher,tu peux remonter.

– Monsieur se moque de moi, répondit lefidèle serviteur, qui tenait un pistolet de chaque main.

– En route alors, et Dieu nousgarde ! dit Marmouset.

Et, le revolver au poing, il s’avançarésolument dans le boyau souterrain, à la recherche del’inconnu.

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