Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 27

 

Le manuscrit de Turquoise continuaitainsi :

Chapitre deuxième.

Un mois après la scène étrange que nous venonsde raconter, un détachement français occupait, un petit village desmontagnes de la Catalogne, appelé Ojaca.

C’était au plus fort de cette courte campagnequ’on a appelée la deuxième guerre d’Espagne et qui eut lieu en1823.

Le détachement dont nous parlons se composaitde deux escadrons de hussards sous les ordres du lieutenant-colonelduc de Fenestrange.

Le duc était un homme d’environ trente ans,aux allures hautaines, au ton railleur, au caractèrevindicatif.

Il avait servi en Russie pendant toute ladurée du premier Empire et avait même porté les armes contre laFrance.

Peu aimé dans l’armée française, il s’étaitcependant acquis une grande réputation de bravoure.

Inflexible sur la discipline, sans pitié pourles vaincus, le duc avait occupé Ojaca le matin et prononcé unesentence de mort, exécutoire dans les vingt-quatre heures, contreune douzaine d’habitants convaincus d’avoir fait partie d’une bandede guérillas.

Les prisonniers avaient été entassés pêle-mêledans une sorte de grange située à l’entrée du pays.

Gardés à vue, les mains liées derrière le dos,ils attendaient l’heure du supplice avec la résignation, un peufataliste, des peuples du Midi.

On devait les pendre, au point du jour, sur laplace du village.

Il y avait parmi eux de tous jeunes hommes etdes vieillards.

Il s’y trouvait même un enfant de quinze ans.La mère, éperdue, était allée se jeter aux pieds du colonel.

Le colonel s’était montré inflexible.

Parmi les condamnés, il y avait encore unhomme d’environ quarante ans, petit, nerveux, olivâtre, et biencertainement d’origine arabe, à en juger par son type oriental.

Cet homme s’appelait José Minos.

L’œil farouche, silencieux, il s’était couchédans un coin de la grange, fuyant la société de ses compagnonsd’infortune, lesquels, du reste, paraissaient éprouver pour lui uneinsurmontable aversion.

C’est que José Minos n’était pas un patrioteespagnol, un guérillero faisant aux Français une guerred’extermination, un brave citoyen ayant combattu pour sonpays :

Le pays de José c’était la montagne où ilétait roi.

L’ennemi qu’il combattait, c’était la sociététout entière.

José Minos était un des chefs les pluscélèbres d’alors.

Il commandait à trente hommes dans lamontagne, et ces trente hommes profitaient des désordres de laguerre, des troubles du moment et s’abattaient sur les villages, enpleine nuit, pillaient, massacraient, incendiaient, etdisparaissaient aux premières clartés de l’aube.

Comment José Minos avait-il étépris ?

C’était toute une histoire.

Le bandit avait un amour au cœur, il s’étaitépris d’une jeune fille d’Ojaca qu’on appelait Dolorès.

Cette femme était fière d’un tel amant, etn’avait mis à ses bonnes grâces qu’une condition, c’est que lebandit, respecterait son village.

Depuis plus d’un mois, José Minos venaitpresque chaque nuit à Ojaca et restait avec Dolorès jusqu’au petitjour.

Ces amours n’étaient un mystère pourpersonne ; on méprisait Dolorès, mais on ne la trahissait pas,tant on redoutait la colère de José Minos.

Mais Dolorès était jalouse et le bandit aussigalant qu’un voleur d’opéra-comique.

Un soir José Minos enleva une fille d’Ojaca etl’emmena dans la montagne.

Dolorès l’apprit et résolut de punirl’infidèle.

Comme son nouvel amour n’avait pu le guérir del’ancien, José Minos revenait chaque nuit à Ojaca.

Dolorès, un soir, lui offrit un verre devin.

Ce vin contenait une substancesoporifique.

Et José Minos s’endormit d’un profondsommeil.

Le lendemain il dormait encore quand lesFrançais occupèrent le village.

Dolorès livra le bandit.

Et José Minos s’attendait à être pendu lelendemain et il était si solidement garrotté qu’il ne pouvait pluscompter que sur un miracle pour échapper au sort quil’attendait.

La nuit était venue.

Les condamnés sommeillaient de ce sommeilinquiet qui est le dernier.

Seul, José Minos ne dormait pas ; ilrêvait aux gorges sauvages de la montagne qu’il ne reverrait plus,à ses compagnons de rapine, à sa vie aventureuse, à tout ce quiétait désormais fini pour lui.

Mais tandis qu’il rêvait ainsi, la porte de lagrange s’ouvrit et deux hommes portant l’uniforme français,entrèrent, éclairés par la lueur rougeâtre d’une lanterne.

Cette clarté éveilla tous les prisonniers quilevèrent curieusement la tête.

L’un des deux soldats dit alors :

– Lequel de vous est JoséMinos ?

– C’est moi, répondit le bandit.

Les soldats s’approchèrent de lui et l’und’eux lui délia les jambes, disant :

– Lève-toi et marche.

– Où me conduisez-vous ? demanda lebandit Est-ce que vous allez me pendre avant le jour ?

– Nous te conduisons chez le colonelfrançais qui veut te voir.

On lui laissa les mains liées derrière le doset José Minos se mit à marcher entre les deux soldats.

Le colonel duc de Fenestrange s’était installédans la maison de l’alcade.

Ce dernier, fait prisonnier, était au nombrede ceux qui devaient être pendus le lendemain.

José Minos entra la tête haute.

Le colonel était debout dans une vaste pièceau milieu de laquelle se trouvait un berceau d’enfant. Auprès duberceau, un domestique muni d’un biberon allaitait le petitêtre.

José Minos soutint le regard froid et clair ducolonel.

Celui-ci lui dit :

– Veux-tu ta grâce ?

– Pourquoi me feriez-vousgrâce ? demande le bandit étonné.

– Parce que j’ai besoin de toi.

– C’est différent.

Et José Minos attendit.

– Tu vois cet enfant ? poursuivit lecolonel.

– Oui.

– Je le hais. Je désire sa mort, etcependant je ne veux pas le tuer.

– Et vous avez compté sur moi ?

– Oui, mais voici comment je te rends laliberté.

– Bon !

– Tu vas emporter cet enfant avec toi, tul’élèveras.

– Fort bien.

– Chaque année, le jour de Noël, tu peuxte présenter à la poste de Bayonne et tu trouveras une lettrerenfermant une valeur de deux cents louis : c’est la pensionde l’enfant.

– Alors je ne le tuerai pas ?

– Non, mais tu en feras, un bandit commetoi, et peut-être bien qu’il sera pendu un jour ou l’autre.

– Et s’il échappe à la potence ?

– Tu te présenteras tous les ans à laposte de Bayonne, mais dans vingt ans, ce sera lui.

– Ah !

– Et avec les deux cents louis, iltrouvera une lettre qui renfermera pour lui un bon avis.

– C’est marché conclu, dit le bandit.

– Tu me le jures ?

– Sur les reliques de saint Jacques deCompostelle, patron des Espagnes.

– C’est bien, dit le colonel, je vais tefaire escorter jusqu’à la montagne.

Une heure après, le bandit José Minos quittaitOjaca, et il était désormais le tuteur de cet enfant ducrime ; né à Paris de la duchesse de Fenestrange et de feu lemarquis Armand de Maurevers, père de ce Gaston de Maurevers quidevait disparaître trente ans après, d’une si mystérieusefaçon.

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