Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 27

 

Marmouset ne pouvait, détacher son regard dece fantôme décharné qui s’était appelé le marquis de Maurevers etqui paraissait être descendu, comme intelligence, au-dessous duniveau de la brute.

Roumia, la bohémienne, la Belle Jardinièrecomme on l’appelait, et que Marmouset avait voulu tuer moins d’uneheure auparavant, Roumia était pourtant seule avec lui en cemoment, et ses deux gardiens étaient demeurés au dehors.

Il est vrai que Marmouset n’avait plus nirevolver, ni poignard.

Mais Marmouset était un homme, un homme jeuneet robuste ; et un homme a toujours raison d’une femme.

Il pouvait donc se jeter sur elle àl’improviste, lui faire un collier de fer de ses deux mains etl’étrangler avant qu’on ne fût venu à son aide.

Marmouset n’y songea même pas.

L’atmosphère alourdie dans laquelle il setrouvait, avait distendu ses nerfs, apaisé sa colère, ôté à son âmetoute énergie.

Roumia s’était donc assise auprès de lui, etil ne prenait garde à elle.

Toute son attention était concentrée par lemarquis de Maurevers.

Celui-ci fumait.

Il fumait avec cet acharnement fébrile desOrientaux qui cherchent dans le rêve des jouissances insensées.

Mais il avait cessé de murmurer des mots sanssuite, de parler d’amour à cet être imaginaire que tout à l’heureil croyait presser dans ses bras.

Son œil s’arrêtait parfois sur Roumia et surMarmouset.

Mais il ne voyait ni l’un ni l’autre.

– Il ne nous a pas encore aperçus, ditRoumia à l’oreille de Marmouset.

– Il nous verra donc ?

– Oui, tout à l’heure.

– Ah ! fit Marmouset qui sentait,lui aussi, sa tête s’appesantir.

Mais, bientôt, il fut le témoin d’un étrangephénomène, annoncé du reste par Roumia.

L’œil du marquis, cet œil atone et sansrayons, dont les paupières étaient à demi baissées, cet œils’ouvrit peu à peu, puis, s’éclaira, et Marmouset comprit quel’intelligence y revenait lentement.

Tout à coup, sa main saisit le tuyau dunarguilé et l’arracha de ses lèvres.

Puis, le jetant loin de lui, le marquis seleva brusquement et s’écria :

– Où suis-je ?

Alors, la voix railleuse de la BelleJardinière se fit entendre :

– Bonjour, marquis, dit-elle.

Il serra les poings, leva sur elle un regardplein de haine et voulut faire un pas.

Mais elle le cloua à sa place de son œilfascinateur et lui dit :

– Prends garde ! tu sais bien quetes jambes ne te portent pas toujours.

– C’est vrai, murmura-t-il avec un accentde rage.

Et il retomba, épuisé par l’effort qu’ilvenait de faire, sur la pile de coussins où il était tout àl’heure.

La voix de Roumia avait le sifflement d’unevipère.

– Marquis, dit-elle, sais-tu qui tues ?

– Oui, répondit-il, je sais que je suista victime, démon.

– Tu es le marquis de Maurevers, n’est-cepas ?

– Je ne suis plus rien.

– Mais tu l’as été ?

– Oui.

– Tu avais une maîtresse…Turquoise ?…

– Pauvre Turquoise ! soupira-t-ilavec un sanglot déchirant dans la voix.

– Elle est morte, ricana labohémienne.

– Tu me l’as déjà dit, mais je ne tecrois pas.

– Tu avais un fils ?…

Ici, cet homme qui recouvrait un peu de sonintelligence, fit un effort surhumain :

– Non, dit-il, je n’ai pas de fils… jen’ai jamais eu de fils.

– C’est-à-dire que tu n’as jamais voulume dire où il était, dit-elle avec un accent de raillerieinfernale, mais je le sais…

– Tu mens !

Et, en prononçant, ces mots, il vit Marmousetqui se tenait muet et la sueur au front derrière Roumia.

– Quel est cet homme ?balbutia-t-il.

– Ah ! tu ne connais pasmonsieur ?

– Un de tes complices, sans doute, un detes bourreaux, fit-il avec un accent de mépris et de rage.

– Tu te trompes, marquis, tu tetrompes…

Et elle riait de son rire infernal.

– Monsieur, poursuivit-elle, est un detes amis.

– Ah ! fit Maurevers.

Et son œil éteint se fixait avec une sorted’acharnement sur Marmouset, qu’il voyait pour la premièrefois.

– Je ne me souviens pas, murmura-t-ilenfin, en prenant sa tête dans ses deux mains.

– Monsieur, poursuivit Roumia, est un amide Montgeron.

– Montgeron ! exclama lemarquis.

– Ne te l’ai-je pas dit ? Montgeronest mort.

Le marquis eut un gémissement.

– C’est un ami de Montgeron,poursuivit-elle, et, comme lui, il s’est vaillamment lancé à tarecherche, il a retrouvé ton fils…

– Je n’ai pas de fils ! répéta-t-ilavec énergie.

Roumia se tourna vers Marmouset :

– Mais dites-lui donc, fit-elle, que sonfils, ce matin encore, était dans un pensionnat de la rue desPostes.

– C’est vrai, dit Marmouset en courbantla tête.

Le marquis de Maurevers se dressa denouveau.

Il avait des éclairs dans les yeux, et soncorps débile semblait retrouver un peu de force.

– Eh bien ! oui, dit-il, j’ai unfils… mais tu ne sauras pas où il est.

– Tu te trompes, je le sais…

– Tu mens !

– Il est en mon pouvoir depuis ce matin,acheva Roumia.

– Tu mens !

– Je vais t’en donner lapreuve !

En même temps, elle frappa de nouveau troiscoups dans sa main.

Alors, le mur du fond de la salles’entr’ouvrit comme un décor de théâtre rentre tout à coup dans sacoulisse.

En même temps, des cris déchirants se firententendre.

Et Marmouset, épouvanté, vit au fond d’uneautre salle tendue de rouge et éclairée par des torches, un enfantdemi-nu lié à un poteau, et deux hommes qui le fouettaient avec desverges.

C’était bien le pauvre enfant enlevé le matin,rue des Postes, que les bourreaux de Roumia la bohémiennemartyrisaient !

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