Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 28

 

La réaction que la vue du marquis deMaurevers, réduit à l’état de fantôme, n’avait pu opérer chezMarmouset, les cris et les larmes de l’enfant l’amenèrent.

– Ah ! misérables ! ah !brigands ! s’écria-t-il.

Et, oubliant qu’il était désarmé, il se ruasur les bourreaux.

La Belle Jardinière partit d’un éclat derire.

– Assez ! dit-elle.

Les deux hommes qui fouettaient l’enfants’arrêtèrent.

Mais, en même temps, sur un signe de leurterrible maîtresse, ils se tournèrent contre Marmouset.

Alors, entre cet homme seul contre deux, maisdont la colère doublait les forces, et ces deux esclaves d’unetyrannique volonté, une lutte terrible s’engagea.

Dix fois terrassé, Marmouset se releva dixfois.

Mais, enfin, la force brutale triompha.

Marmouset se vit couché sur le sol, le dos parterre, le genou de l’un de ses adversaires sur la poitrine.

Et celui-ci, levant un poignard, dit à laBelle Jardinière :

– Faut-il frapper ?

– Non, dit-elle, garrottez-le.

Alors, tandis que l’homme au poignardmaintenait Marmouset épuisé sous son genou, l’autre s’empara d’unelongue écharpe de soie que la Belle Jardinière portait autour de sataille, et qu’elle dénoua pour la lui donner.

Puis, avec cette écharpe, il se mit à lier lespieds et les mains du jeune homme, avec une dextérité de jongleurindien, et jamais peut-être ligature ne fut plus solide.

Quand ce fut fait, les deux hommes, dont l’un,du reste, n’était autre que l’Espagnol, se relevèrent, le laissantgisant sur le sol, et ils attendirent de nouveaux ordres.

Marmouset était de l’école de Rocambole.

Il savait que les cris ne servent à rien, sice n’est à perdre tout à fait une cause déjà compromise.

Il ne jeta donc pas un cri, il ne chercha mêmepas à se débattre ; muet, immobile, il attendit son sort avecune apparente impassibilité.

La Belle Jardinière dit àl’Espagnol :

– Détachez cet enfant !

On délia le pauvre petit, qui n’osait pluscrier de peur qu’on ne le fouettât encore.

– Et emmenez-le ! ajouta labohémienne.

Alors Marmouset vit le mur à coulissesreprendre sa place première, et le poteau, l’enfant, les bourreaux,tout disparut.

De nouveau, il était seul en présence de laBelle Jardinière. Celle-ci se pencha sur lui :

– Je n’aime pas à causer avec un homme àterre, dit-elle.

Et le prenant par les épaules, avec unevigueur dont on ne l’eût point jugée capable, elle le porta sur ledivan placé contre le mur et s’y assit.

– Maintenant, dit-elle,causons !

Marmouset leva sur elle un œil chargé demépris et ne prononça pas un mot.

Quant au marquis de Maurevers, il étaittoujours évanoui et gisait auprès du divan.

Elle le poussa du pied en disant :

– Nous n’avons plus à nous occuper delui, sa raison est éteinte de nouveau, il va rentrer dans son rêveopiacé.

Alors se plaçant en face de Marmouset, lesbras croisés sur la poitrine, l’œil plein d’éclairs, la lèvreironique, elle dit à son prisonnier :

– Je sais qui tu es : tu te nommesMarmouset, ton premier maître est un bandit du nom de Rocambole.Mais Rocambole est parti, il est mort sans doute, et tu n’es pas detaille à jouer le même jeu que lui.

Tu as commencé par être voleur etmendiant ; puis tu es devenu riche, et ce n’est pas moi qui meserais jamais jetée au travers de ta prospérité et de tonbonheur.

Mais tu as été imprudent, tu as voulusavoir.

Je venge l’homme que j’ai aimé, c’est mondroit. Tu as essayé d’enrayer ma vengeance, je te frappe, c’est mondroit encore !

Une femme était ta complice, tu vois ce quej’en ai fait, elle est folle !

Moi seule pourrais détruire mon œuvre et luirendre la raison, mais je n’ai pas de ces sottes générosités.

Dans cinq jours j’aurai quitté Paris ;dans huit, à bord d’un navire, entre le ciel et l’eau, emmenantavec moi ces deux victimes, je me serai soustraite pour jamais à lacuriosité importune de ceux qui rêvent encore de pénétrer lemystère du marquis de Maurevers.

Dans cinq jours, une pauvre folle à demi mortede faim sera trouvée dans les décombres de cette maison, auprèsd’un cadavre.

Les fous ne sont pas crus quand ils parlent,et les morts ne parlent pas.

La folle, c’est ta complice.

Le cadavre, tu l’as deviné, n’est-cepas ?

C’est le tien.

Elle eut un éclat de rire strident.

– Car enfin, dit-elle, tu n’as pasespéré, j’imagine, que je te ferais grâce ?

– Tuez-moi, dit Marmouset, je vousméprise !

Elle se prit à rire de plus belle.

– Bah ! dit-elle, tu es candide etnaïf en ton audace, mon maître ; et tu te dis peut-être que jevais t’envoyer dans l’éternité d’un coup de poignard ou d’un coupde pistolet. Allons donc !

Je n’ai pas l’intention davantage de te fairehacher en morceaux, ou de te faire décapiter. Le sang merépugne.

Je t’ai trouvé un supplice bien digne d’unhomme d’imagination tel que toi.

Marmouset continuait à la regarder avecdédain.

– Tu es instruit, poursuivit-elle, et tudois savoir que les Chinois sont des maîtres en raffinement decruauté.

Le duc de Fenestrange, que tu as vu tout àl’heure, avait étudié leurs procédés et c’est de lui que je tienscelui que je vais t’appliquer.

Je te condamne à mourir par la privation desommeil.

Marmouset était brave ; il avait fait lesacrifice de sa vie, et cependant, il ne put s’empêcher defrissonner.

– On meurt au bout de cinq jours,acheva-t-elle avec son rire cruel. Vraiment, ce n’est pas troplong !…

Et elle frappa pour la troisième fois dans sesmains, et, à ce signal, les bourreaux reparurent.

– Ô Rocambole ! murmura Marmouset,dans le fond de son cœur, Rocambole, où êtes-vous et neviendrez-vous donc pas à mon aide ?

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