Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 31

 

Le manuscrit de Turquoise.

(Suite.)

Les hommes armés qui venaient de surgir, auxdeux côtés de la berline de voyage faisaient partie d’uneavant-garde de bandits.

C’était le premier poste établi par José Minosà l’entrée de ce défilé sauvage qu’on appelait la montagne.

Mais Pedro sauta à bas, du siège et se fitreconnaître.

Pedro était le lieutenant de José Minos, ettout le monde lui obéissait.

Les bandits laissèrent donc passer la berline,qui continua son chemin.

Alors la marquise reprit son récit :

– Il y a cinq ans, mon enfant, dit-elle,que, rentrant à notre hôtel vers dix heures du soir, après avoirpassé la soirée chez votre tante, Mme de M…,je trouvai un vieux domestique à cheveux blancs quim’attendait.

– Madame la marquise, me dit-il, unepersonne se meurt qui a eu de grands torts envers vous et qui neveut point rendre le dernier soupir sans emporter votre pardon dansla tombe.

Je regardai cet homme :

– Quelle est la personne dont vousparlez ? lui dis-je.

– Je ne puis prononcer son nom.

– Où est-elle ?

– Dans une maison où je supplie madame lamarquise de me suivre.

Il avait des larmes dans la voix, et sa figurehonnête et franche me donna confiance en lui.

Et puis, qui donc avait eu des torts enversmoi, si ce n’est celui ou ceux qui avaient causé la mort de votrepère.

Je consentis donc à suivre cet homme, à pied,enveloppée dans mon manteau.

Il ne me conduisit pas loin.

Nous habitons, vous le savez, à Paris, la ruedu Bac ; cet homme me fit traverser la petite place quientoure l’église. Saint-Thomas-d’Aquin.

Nous entrâmes dans la rue de Grenelle et versle bout à gauche, un peu avant d’arriver au carrefour vieilCroix-Rouge, il s’arrêta devant la porte d’un hôtel.

Au lieu de frapper, il tira une clé de sapoche et l’introduisit dans la serrure de la petite porte quis’ouvrait dans la grande.

Une seconde après je traversais une courplantée de grands arbres et j’étais introduite d’abord dans unvestibule assez vaste, puis dans un grand salon et enfin dans unechambre à coucher où je trouvais une femme encore jeune, encorebelle, mais qui paraissait lutter contre les approches de lamort.

Quand elle me vit, son œil brilla et sesforces parurent lui revenir.

– Madame la marquise, me dit-elle, jesuis la malheureuse femme que votre mari aimait. Je suis laduchesse de Fenestrange.

Je la regardai avec une sorte d’épouvante,cette femme qui avait causé la mort de votre père.

– Je vois bien que je vous fais horreur,me dit-elle ; mais je vais mourir… et vous ne sauriez haïr audelà du tombeau.

J’eus honte de ce premier mouvement derépulsion dont je n’avais pas été la maîtresse ; et je luipris la main, disant :

– Mourez en paix, madame.

– Oh ! non, répondit-elle, je nemourrai pas ainsi, madame. Je ne mourrai pas sans vous avoir confiéun terrible secret.

– Parlez, lui dis-je.

Et je me penchai vers elle.

Sa voix s’affaiblissait de plus en plus ettoute sa vie paraissait concentrée dans son regard.

Alors elle m’avoua qu’au moment même où votremalheureux père tombait, frappé mortellement par le duc deFenestrange, elle se tordait, elle, dans les douleurs del’enfantement, et que, deux heures plus tard, assistée de sonterrible mari, elle mettait au monde un enfant qui était le fils deM. de Maurevers, selon la nature, votre frère parconséquent, mon fils.

Le jeune marquis tressaillit.

– J’ai donc un frère ? dit-il.

– Je ne sais pas, reprit madame deMaurevers. Vit-il encore ? Est-il mort ? C’est ce que laduchesse de Fenestrange, à son lit d’agonie, n’a pu me dire.

Il paraît que, lorsqu’elle fut délivrée, elles’évanouit.

Quand elle revint à elle, son mari avaitdisparu, emportant l’enfant.

Depuis lors, elle a eu beau supplier le duc delui dire ce qu’était devenu cet enfant, le duc a été muet.

– Mais le duc vit encore ! dit lejeune marquis, dont l’œil eut un éclair de colère.

– Sans doute, et vous savez la grandefortune militaire qu’il a faite. Il est général.

– C’est le meurtrier de mon père.

– Oui, dit la marquise, et votre pèren’est pas vengé.

– Il le sera, répondit froidement lejeune homme. Ma mère, je vous en fais le serment.

Comme il disait cela, la berline s’arrêta denouveau.

Pedro parlementait avec de nouvellessentinelles.

Le jeune marquis mit la tête à laportière.

La lune avait disparu ; mais lespremières clartés confuses encore, du matin, couraient dans le cielà l’horizon.

Le paysage était grandiose et sauvage.

La berline qui, depuis longtemps, allait aupas, s’était arrêtée au milieu d’une allée muraillée par de hautesmontagnes.

On voyait à l’horizon une lueur rougeâtre.C’était le feu du bivouac des bandits.

Les nouvelles sentinelles ayant reconnu Pedrofirent signe et la berline se remit en mouvement.

Un quart d’heure après, elle s’arrêtaencore.

Cette fois une main ouvrit la portière et unetête se montra, disant en espagnol :

– Qui êtes-vous ?

La lueur du fanal se projetait à l’intérieurde la berline.

Un rayon tomba sur le visage de celui quivenait d’ouvrir la portière.

Soudain la marquise jeta un cri.

– Un cri de surprise, un crid’épouvante !

Cette tête que le fanal éclairait, était celled’un jeune homme de quatorze ou quinze ans, brune, hâlée, avec descheveux noirs… Mais cette tête ressemblait trait pour trait, à s’yméprendre, à celle du jeune marquis de Maurevers.

Et ce jeune homme ayant regardé le marquisjeta pareillement un cri, car il lui sembla qu’il se reconnaissaiten lui.

La marquise de Maurevers venait des’évanouir.

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