Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 31

 

Une lettre adressée à Marmouset accompagnaitle manuscrit de Rocambole.

« Mon cher enfant, disait le maître, jen’ai point torturé ce monstre femelle qui s’appelle la BelleJardinière. Elle a pourtant torturé M. de Maurevers,qu’hélas ! on ne rappellera jamais complètement à la raison età la santé ; elle a voulu te faire périr dans d’épouvantablessupplices.

Quelques heures encore, et ni toi, ni ma chèreVanda, n’eussiez plus été de ce monde.

Cependant, je ne frappe pas cette femme, et jevais lui fournir les moyens de racheter ses crimes.

Pourquoi ?

Ceci est mon secret, – un secret que tudevineras à moitié, du reste, quand tu auras pris connaissance dumanuscrit que je te laisse.

Je quitte de nouveau Paris, mais pour quelquesjours seulement.

À mon retour, – je vais à Londres, – j’auraibesoin de ton dévouement et de ton intelligence, et de cet or deGipsy, notre pauvre morte, que tu n’as accepté qu’à titre dedépôt.

Tu as entendu parler souvent de cette Indemystérieuse où vivent les Étrangleurs, nos anciens adversaires.

L’Inde est aussi la patrie d’hommes nobles etgrands qui ont lutté au grand jour, comme les Thughs luttaient dansl’ombre, contre la tyrannie et le joug de l’étranger.

Parmi ces princes qui ont refusé de subir lejoug de l’Angleterre, il en est un qui a préféré mille fois la mortà la servitude, et ce prince a été mon ami.

Rocambole le forçat a été pendant deux annéesle compagnon d’armes, le frère de l’homme le plus noble du monde.Il a vécu de sa vie, partagé les mêmes périls, et il ne l’a quittéque mort.

J’ai fait un serment à mon prince bien-aimé,au moment où son œil mourant s’arrêtait une dernière fois sur moi,un serment solennel et dont l’accomplissement sera le couronnementde l’œuvre de réhabilitation que j’ai entreprise.

Ce serment, je le tiendrai, mon ami, et tu m’yaideras.

C’est pour cela que je n’ai pas tué la BelleJardinière.

Il me faut un instrument terrible dans lamain, et cet instrument, c’est la bohémienne Roumia.

Lis donc, et au revoir…

ROCAMBOLE. »

Après avoir pris connaissance de cette lettre,Marmouset se tourna vers Milon.

– Ainsi donc, le maître est àLondres ?

– Oui, répondit le colosse.

– Quand est-il parti ?

– Hier soir.

– Et il t’a commandé de demeurer auprèsde moi ?

– Sans doute.

– Ici ?

– Ah ! dame ! fit Milon,savez-vous, que vous avez dormi soixante heures, pendant lesquellesje vous ai fait constamment avaler, des cuillerées de bouillon sansparvenir à vous éveiller.

Il est vrai que vous aviez absorbé unnarcotique dans le verre de vin qu’on vous avait apporté ; cequi nous a permis de panser vos blessures et vos brûlures sans vousfaire souffrir.

– Fort bien, dit Marmouset, mais ce n’estpas là ce que je te demande.

– Quoi donc ? fit Milon.

– Dois-je rester ici ?

– Le maître l’a dit : il est inutileque Marmouset rentre dans Paris avant d’avoir pris connaissance dumanuscrit que je lui laisse.

– C’est bien, je resterai.

– D’ailleurs, continua Milon, il y a icides provisions, du vin, et nous pouvons boire et manger.

– Ma foi ! dit Marmouset ensouriant, quelque obéissance respectueuse que j’aie pour le maître,et quelle que soit mon impatience de prendre connaissance de sonmanuscrit, je t’avoue que je meurs de faim et de soif.

– Attendez-moi alors.

Et Milon sortit et revint peu après, poussantdevant lui une table toute servie.

– Comment appellerons-nous monrepas ? demanda Marmouset. Je veux être pendu si je devine, aufond de ce souterrain, l’heure qu’il est.

– Il est minuit, dit Milon.

– Alors, soupons.

– Et je vais souper avec vous, car, moiaussi, j’ai grand’ faim. ajouta le vieux colosse.

Il était une chose qui excitait la curiositéde Marmouset peut-être autant que le manuscrit laissé parRocambole.

– Mais enfin, dit-il à Milon, commentêtes-vous venus à mon secours ?

Milon raconta alors, non sans baisser les yeuxet s’accuser de son peu d’intelligence, pour la millième foispeut-être, ce qui lui était advenu après le départ de Marmouset, etcomment l’incendie avait en partie dévoré le petit hôtel del’avenue de Marignan ; comment, ensuite, il avait été trouvépleurant et à demi fou par Rocambole.

Celui-ci lui avait fait des questions, etMilon lui avait répété les indications données à Marmouset parl’Espagnol.

Alors, Rocambole n’avait pas hésité à venir àVincennes.

Mais il avait fallu attendre la nuit.

La nuit venue, tous deux avaient constatél’éboulement de la voûte du souterrain.

Ils avaient alors entrepris de percer unegalerie.

Ce travail avait duré deux jours et unenuit.

– Et mon malheureux cocher ?demanda-t-il.

– On l’a retrouvé à demi mort de faimdans l’oubliette qui s’était ouverte sous ses pas, réponditMilon.

Marmouset acheva son repas, alluma alors uncigare et entama la lecture du manuscrit, dont le premier chapitreportait ce titre un peu mélodramatique :

Le Bûcher de la Veuve.

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