Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 23

 

L’enveloppe que Marmouset venait d’ouvrir enrenfermait deux autres. Mais celles-là étaient ouvertes.

L’une, assez volumineuse, contenait unmanuscrit.

L’autre, plus petite, renfermait une simplelettre signée Rocambole, et que le maître adressait non seulement àMarmouset, mais encore à Vanda et à Milon.

Cette lettre était ainsi conçue :

 

« Paris, ce 21 novembre 186… une heureavant mon départ.

Mes amis,

Dans quelques minutes j’aurai quitté Paris. Jevais dans l’Inde.

Si mes prévisions se réalisent, je serai deretour dans deux ans.

Alors vous n’ouvrirez pas l’enveloppe quicontient cette lettre.

Si dans deux ans je ne suis pas revenu, c’estque vous aurez à exécuter mes volontés. Écoutez-moi.

Toi, Vanda, après avoir été une grande dame,tu es tombée bien bas, jadis.

Toi, Marmouset, tu as été voleur ; tu asfailli devenir assassin.

Toi seul, mon vieux Milon, tu n’as à ta chargeque des actes de dévouement et de vertu ; mais tu es devenucomme les deux autres, un complice de Rocambole revenu au bien, ettu dois marcher avec eux.

Le jour où j’ai quitté le bagne, mes amis,j’ai compris que Dieu ne me rendait ma liberté qu’à la conditionque j’emploierais chaque heure et chaque minute de ma vie à réparermes fautes, et toi, Vanda, et toi Marmouset, vous ne vous êtesassociés à cette vie que pour suivre mon exemple.

Nous ne nous appartenons pas.

Nous nous devons à tout être qui souffre etqui a besoin d’un appui.

Or, hier soir, comme je faisais mespréparatifs de départ, on m’a apporté une lettre d’une écritureinconnue, sans signature et que je transcris icitextuellement :

« Si l’homme qui s’est appelé tour à tourRocambole et le major Avatar continue à marcher dans la voie de laréhabilitation ; s’il est toujours le protecteur des oppriméset l’ennemi des persécuteurs, il est supplié de se rendre rue deMénilmontant, n° 16, où il trouvera la plus grande infortunequ’il ait jamais rencontrée peut-être. »

Dix minutes après, j’étais en voiture ;trois quarts d’heure plus tard j’arrivais rue de Ménilmontant.

Le numéro 16 est une porte cochère ouvrant surune longue cour étroite et bordée, à droite et à gauche, devieilles maisonnettes en torchis.

C’est une de ces misérables cités habitées parune population ouvrière que le chômage atteint fort souvent et quialors en est réduite aux tortures de la faim et du froid.

Il y avait dix maisons dans cette cité.

Laquelle était celle où onm’attendait ?

Le billet que j’avais reçu ne portait pas designature.

Je m’arrêtai donc au seuil de la porte et jecherchai à m’orienter.

Devant la troisième maison de gauche,j’aperçus un enfant de sept ou huit ans qui me regardait avec unecertaine attention.

Enfin il se décida à venir à moi.

C’était bien ce que l’on appelle l’enfant deParis.

Sa blouse grise était propre, son linge blanc.Il portait une petite casquette noire sur une broussaille decheveux châtains.

Maigre, chétif, mais intelligent et l’œil vif,il me regarda et me dit :

– Est-ce que tu n’es pas Rocambole,monsieur ?

– Oui, mon ami, lui répondis-je.

– Alors, viens avec moi, reprit-il mamanétait bien sûre que tu viendrais.

Et il se mit à marcher devant moi.

La porte devant laquelle je l’avais aperçutout d’abord, ouvrait sur une allée étroite et sombre, au bout delaquelle était un escalier raide et tournant.

L’enfant, arrivé au bas de cet escalier, meregarda de nouveau ; puis avec un souriremélancolique :

– C’est haut, me dit-il, c’est ausixième.

– Montre-moi le chemin, répondis-je.

Le sixième voyait la fin de l’escalier.

Là, il y avait un corridor sur lequeldonnaient plusieurs portes numérotées.

L’enfant me conduisit tout au fond, ouvritcelle qui portait le numéro 9, et dit en la poussant :

– Maman, voilà Rocambole !

J’entrai.

J’étais dans une de ces pauvres mansardes dehuit pieds carrés qui prennent leur jour sur les toits par unecroisée à tabatière.

Le mobilier était chétif, mais d’une extrêmepropreté.

Dans un coin, il y avait un lit, et, couchéedans ce lit, une femme pâle, maigre, au regard fiévreux, mais dontle visage conservait encore les traces de la jeunesse et d’unegrande beauté.

Elle me regarda en souriant et me tendit unemain longue, fluette et presque diaphane, tant elle étaitamaigrie.

– Ah ! dit-elle, je savais bien quevous viendriez…

Je la regardais, et il me semblait qu’unlointain souvenir traversait mon esprit.

– Vous ne me reconnaissez pas, vous, medit-elle, mais je vous reconnais bien, moi…

Je la regardais toujours cherchant à merappeler.

– Vous ne me reconnaissez pas, vous, medit-elle enfin.

– Turquoise !

– Oui, j’avais vingt ans alors, j’en aitrente aujourd’hui.

– Mon Dieu ! m’écriai-je, commentavez-vous pu être réduite à cet état de misère et dedénuement ?

– Mon histoire est trop longue, medit-elle ; et je sens la mort approcher, je n’aurais pas letemps de la raconter ; mais je l’ai écrite.

Elle passa sa main sous l’oreiller quisupportait sa tête pâle inondée d’une gloire de cheveux blonds, etelle en retira le manuscrit que je joins à cette lettre.

– Savez-vous, me dit-elle, que j’ai étéla dernière maîtresse du marquis de Maurevers ?

À ce nom. je ne pus me défendre d’untressaillement de surprise.

Elle reprit en souriant :

– Comme vous j’ai été coupable ;comme vous j’ai commis des fautes et des crimes ; comme vousje me suis repentie… Dieu me rappelle à lui, et je crois bien qu’ilm’a pardonné… mais cet enfant que vous voyez là…

– C’est votre fils ?

– Il me croit sa mère, dit-elle enbaissant la voix. Mais c’est le fils de Maurevers.

– Mais enfin m’écriai-je, le marquis deMaurevers a disparu.

– Oui.

– Il a été assassiné ?

– Non, me dit-elle.

– Il est mort du moins ?

– Pas davantage.

– Qu’est-il donc devenu alors ?

– Ce manuscrit vous l’apprendra.

Elle était devenue de plus en plus pâle enparlant et sa voix s’affaiblissait.

– Je crois bien, me dit-elle, que c’estcette nuit que je vais mourir…

– Oh ! lui dis-je, vous vousexagérez votre état.

– Non, répondit-elle, j’ai la mort dansles yeux, ne voyez-vous pas ?

Mais enfin, vous voilà, vous prendrez soin del’enfant… vous lirez ce que j’ai écrit… vous vengerez les victimes…vous poursuivrez les bourreaux, n’est-ce pas ?

– Je vous le jure, lui dis-je.

Elle me tendit la main.

– Ah ! fit-elle, j’ai eu raisond’avoir foi en vous !

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