Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 15

 

Le lendemain du jour où Vanda et Marmousetavaient achevé la lecture du manuscrit de Turquoise, de ce mêmejour où Milon était arrivé tout désolé, annonçant que la BelleJardinière avait de nouveau disparu, de ce jour enfin où on avaitreçu une lettre de Rocambole, – les trois disciples du maîtreétaient réunis à sept heures du matin, dans le petit hôtel de larue de Marignan et tenaient conseil.

Vanda disait :

– Nous avons trois choses à faire.

– Voyons ? fit Marmouset.

– La plus pressée est de mettre la mainsur ce meuble qui renferme le titre de cent mille livres derente.

– C’est le plus pressé et le plusdifficile, dit Marmouset. Mais du moment où le maître l’ordonne, ilfaudra bien que ce soit fait.

– Ensuite, dit Vanda, il faut retrouvercette femme.

– Naturellement.

– Enfin, il est indispensable d’avoir desnouvelles de cet enfant que Rocambole a placé dans un pensionnat dela rue des Postes. Il y a deux ans de cela, et, dans deux ans, ilse passe tant de choses !

– Eh bien ! moi, reprit Marmouset,je suis d’un avis tout opposé.

– Ah ! fit Vanda.

– La première chose à faire est de voircet enfant.

– Bien.

– Et de nous assurer que personne nes’est jamais inquiété de lui ; car, écoutez-moi bien, cettefemme qui a confisqué M. de Maurevers, cette femme quidispose de tant de moyens étranges, de tant de procédés ingénieuxet terribles, peut bien avoir découvert l’existence de cetenfant.

À ces paroles de Marmouset, Vanda et Milon seregardèrent avec une sorte d’effroi.

– Or donc, continua Marmouset, je suisd’avis que Milon s’en aille sur-le-champ rue des Postes ;qu’il s’habille en domestique et se présente au maître de pensionde la part de l’homme qui lui a confié l’enfant ; ill’avertira en outre qu’une dame blonde viendra dans la soirée,payer l’arriéré de la pension, s’il y en a, et reprendrel’enfant.

– Pourquoi Milon ne le ramènerait-ilpas ? dit Vanda.

– Je préfère que ce soit vous, ditMarmouset, et en voici la raison : cet enfant doit êtreombrageux, défiant, comme tous ceux qui ont souffert ; vouslui inspirerez plus de confiance qu’un homme.

– Je pars, dit Milon.

– Moi, dit Marmouset, je saurai d’ici àmidi où est la maison de M. de Maurevers.

– Mais la Belle Jardinière ?

– Oh ! acheva Marmouset, je m’encharge. Paris est grand, et le monde encore plus, il faudra bienque je la retrouve !

Quelques minutes après, Milon, en livrée dumatin, ce qui lui donnait l’air d’un vieil intendant du faubourgSaint-Germain, montait dans un fiacre et se faisait conduire ruedes Postes.

La rue des Postes est une des plus solitairesdu quartier latin ; elle s’étend derrière la place duPanthéon.

Vieilles maisons, vastes jardins, tablesd’hôte à des prix minimes, institutions de jeunes enfants, telleest sa physionomie générale.

Le pensionnat indiqué par Rocambole était àdroite, à l’entrée, et on lisait sur la porte :

BARBICHON, CHEF D’INSTITUTION.

Préparation au baccalauréat.

Milon sonna.

Un vieux portier vint lui ouvrir.

– Monsieur Barbichon ? demanda lecolosse.

Le portier, qui ne voyait pas souvent des gensen livrée, salua dans Milon quelque opulente famille et leconduisit avec empressement, en lui faisant traverser la cour derécréation, vers un pavillon sur la porte duquel onlisait :

Économat.

Un petit homme gros et chauve, avec desbésicles sur le nez, était assis devant un bureau chargé de livreset de registres.

En voyant entrer Milon il leva ses bésicles etle regarda d’un air tout aussi bienveillant que celui duportier.

Ce dernier s’en alla.

– Monsieur, dit alors Milon qui demeuradebout et refusa la chaise que lui avançait M. Barbichon, jeviens pour l’enfant qui vous a été confié, il y a deux ans.

– Par qui ?

– Par mon maître, qui vous a payé deuxannées de pension.

– Comment se nommait votremaître ?

– Le major Avatar.

– C’est bien cela, dit le maître depension. L’enfant est ici, il se porte bien, est très intelligentet apprend à merveille. Est-ce ce que vous voulez savoir ?

– Personne ne s’est jamais inquiété delui ? demanda Milon.

– Personne. Pourquoi me demandez-vouscela ?

– Je ne sais pas, dit naïvementMilon.

On m’a commandé de vous faire cette question,je ne suis qu’un domestique, j’obéis.

– Fort bien, ditM. Barbichon.

Milon reprit :

– Une dame, la mère de cet enfantpeut-être, se présentera aujourd’hui.

– Ah !

– C’est une dame blonde qui peut avoir detrente à trente-cinq ans. Elle réglera les comptes, si besoin est,et emmènera son fils.

M. Barbichon fit la grimace. On ne perdpas ainsi un élève de gaieté de cœur.

La cloche de la récréation sonna en ce momentet les élèves se précipitèrent dans la cour.

– Tenez, dit M. Barbichon, enattirant Milon vers la croisée de son bureau, le voilà.

Et il lui montrait un enfant de douze à treizeans, qui jouait avec un de ses camarades.

Milon ne le vit qu’une minute.

Mais il s’en alla, les traits de l’enfantgravés dans sa mémoire.

**

*

Une heure après, une voiture armoriée,s’arrêta à la grille du modeste pensionnat, et une femme jeune etbelle, avec de magnifiques cheveux blonds tirant sur le roux, endescendit et se fit conduira auprès, du chef d’institution.

– Monsieur, dit-elle à M. Barbichon,je suis la personne dont mon intendant vous a parlé ce matin et jeviens chercher mon fils.

En même temps, elle posa sur la table unbillet de mille francs, ajoutant :

– Voilà pour le solde de touscomptes.

M. Barbichon fit appeler l’écolier.

La jeune femme le prit dans ses bras etl’accabla de caresses.

– Tu ne me reconnais donc pas ?dit-elle.

– Non, dit l’enfant tout confus.

– Je suis ta mère, répondit-elle.

Et elle l’entraîna vers la voiture, oubliantde redemander l’humble trousseau du collégien.

Une heure plus tard encore, une autre femmeblonde se présentait, réclamant, elle aussi, l’enfant confié àM. Barbichon par le major Avatar.

Cette femme qui jeta un cri en apprenant qu’onavait emmené l’enfant, c’était Vanda, Vanda qui devina la sinistrevérité sur-le-champ.

L’enfant était, désormais, au pouvoir de laBelle Jardinière.

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