Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 9

 

M. de Maurevers était brave ;de plus, il n’était pas superstitieux.

Cependant il sentit ses cheveux se hérisser etil éprouva un premier moment d’effroi.

La bohémienne s’était arrachée de ses bras enjetant on cri terrible.

– Prends garde ! répéta lespectre.

Puis la flamme, de blanche qu’elle était,redevint violette, puis rouge, puis presque noire, et se changea enun tourbillon de fumée, au milieu duquel le fantôme s’effaça etdisparut.

Alors la salle se trouva de nouveau plongéedans les ténèbres.

– Roumia… où êtes-vous ? criaM. de Maurevers.

Roumia ne répondit pas.

Il voulut se lever et marcher, mais une forteoppression s’empara de lui.

La flamme devenue fumée dégageait une forteodeur de soufre qui le prit à la gorge.

Cependant il fit un pas en avant, puis deux…Mais ses jambes chancelaient, et l’oppression augmentait.

– Roumia ! Roumia !répétait-il.

Nul ne lui répondit.

Le marquis fit un pas encore et tombasuffoqué.

Il crut qu’il allait mourir, et ses yeux sefermèrent.

Combien de temps dura sonévanouissement ?

Plusieurs heures sans doute, car lorsqu’ilrevint à lui, l’odeur de soufre avait disparu et les premièresclartés du matin pénétraient dans la chambre.

Il se leva, chancelant encore et la têtelourde, mais cependant maître de sa raison.

Puis il alla ouvrir la croisée et se pencha audehors, exposant son front brûlant à l’air vif du matin.

La croisée donnait sur ce grand jardin qu’ilavait vu la veille, au clair de lune, mais dont les murs de clôtureétaient si hauts qu’il ne pouvait voir au delà et ne savait où ilétait.

Alors il se souvint de l’apparitionnocturne.

Le fantôme qu’il avait vu entouré de flammeslivides, c’était bien le fantôme de Perdito, ou plutôt, sa vivanteimage à lui, M. de Maurevers.

Or, Perdito était mort, il n’en pouvaitdouter.

Perdito avait été pendu en compagnie de JoséMinos ; et Dieu avait, donc permis un miracle, en laissant cetrépassé sortir de la tombe pour reprocher son infidélité à Roumiala bohémienne ?

Il est des heures où la raison humaine se sentsi fortement ébranlée, qu’elle ne sait si la vie réelle est devenuele rêve, au si le rêve est la vie réelle.

M. de Maurevers se demandait s’ildormait ou s’il était éveillé.

Cependant il se reconnaissait parfaitementdans cette chambre ; il se souvenait très bien que c’était làque Roumia lui était apparue de nouveau, qu’il l’avait tenue dansses bras.

– Roumia ? répéta-t-il, Roumia, oùêtes-vous ?

Cette fois une porte s’ouvrit et Roumiaentra.

Maurevers jeta un cri de joie.

La bohémienne était pâle et ses yeux, battusdisaient qu’elle avait pleuré.

– Ah ! mon ami, dit-elle en venant àlui et lui tendant la main, je crois que je deviens folle.

– Mais c’est donc, vrai tout cela ?fit, M. de Maurevers. Et je n’ai donc pas rêvé ?

– Nous n’avons rêvé ni l’un ni l’autre,mon ami ; c’est bien Perdito qui nous est apparu. Il faut nousséparer.

– Jamais ! dit le marquis.

Roumia ne lui avait jamais paru aussibelle.

Il se mit à genoux et lui dit :

– Mais je vous aime !

– Moi aussi, dit-elle d’une voixémue.

– Alors, que nous importe l’ombre dePerdito !

– Vous ne craignez donc pas lesmorts ?

– Je vous aime et ne crains rien.

– Oh ! reprit-elle avec une émotioncroissante, j’ai d’affreux pressentiments.

– Que redoutez-vous donc ?

Elle demeura pensive un moment ; puiselle regarda Maurevers et lui dit :

– Je me souviens que les anciens de matribu prétendaient que les morts obtenaient parfois la permissionde sortir de leur tombe, mais qu’ils ne pouvaient se manifester quedans un endroit déterminé.

– Eh bien ?

– Eh bien ! Perdito nous est apparuici ; mais si nous fuyons d’ici peut-être ne pourrait-il nouspoursuivre.

– Alors, fuyons…

– Mais… où irons-nous ?

– Où vous voudrez.

Elle réfléchit un moment encore.

– Écoutez, dit-elle je sais un pays dorédu soleil, baigné par une mer d’azur, qui chante un hymne d’amouréternel.

– Naples ?

– Oui.

– Eh bien ! partons pour Naples.

– Quand ?

– Mais tout de suite, s’écria l’amoureuxmarquis.

Elle secoua la tête et lui dit avec un souriretriste :

– Non… pas tout de suite… mon ami.

– Pourquoi ?

– L’ombre de Perdito nous a menacés,dit-elle, et c’est peut-être à la mort que je vais en vous aimantet si je vous donne ma vie, il faut que vous soyez à moi toutentier.

– Ah ! pouvez-vous me ledemander ?

– Je veux que vous quittiez Paris sanslaisser de trace derrière vous… que nul ne sache où vous êtes… quevos amis ignorent ce que vous êtes devenu.

– Soit, répondit-il.

– Et il faut que vous quittiez Paris sansêtre vu.

– Je vous obéirai, dit-il.

Elle lui mit un baiser au front,ajoutant :

– Nous partirons ce soir… quand toutesmes précautions seront prises…

**

*

Le soir, en effet, ce même fiacre aux glacesdépolies qui avait amené le marquis de Maurevers dans le pavillonmystérieux, arrivait à la gare du chemin de fer de Lyon.

Roumia était assise à côté de Maurevers.

Ce dernier s’apprêtait à descendre, comme ils’arrêtait.

– Non, lui dit Roumia, nous allons resterici.

– Mais, dit-il en souriant, nous nepouvons aller à Naples en voiture.

– Sans doute, mais on va dételer leschevaux.

– Et puis ?

– Et mettre la voiture sur lesrails ; de cette façon nul ne nous verra.

Et, en effet, le voyage s’effectua ainsi, etles glaces du fiacre ne se baissèrent point, et seize heures aprèsM. de Maurevers arrivait à Marseille et descendait, nonpoint dans un hôtel, mais dans une petite villa située à la pointedu Prado, tout au bord de la mer.

Nul ne l’avait vu durant le trajet et Roumialui dit :

– Le navire qui doit nous conduire àNaples est dans le port.

Nous nous embarquerons demain.

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