Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 16

 

Tandis que Milon allait rue des Postes,Marmouset courait Paris dans son poney-chaise.

Il était alors un peu plus de midi, et ils’arrêta au Café Anglais.

C’est la que déjeunaient habituellement lebaron Hounot, Charles de S… et deux ou trois autres membres duClub des Asperges qui avaient autrefois été liés avecl’infortuné marquis de Maurevers.

Marmouset entra dans la petite salle durez-de-chaussée.

On lui tendit la main, on s’étonna de nel’avoir point vu depuis deux jours.

– Messieurs, répondit Marmouset, je vousavoue que je suis encore sous l’impression de la mort lugubre de cepauvre Montgeron et du baron Henri.

– Moi aussi, dit le baron Hounot quiavait l’œil humide.

– Mais, reprit Marmouset en s’asseyant etdemandant à déjeuner, tous les regrets de la terre neressusciteraient point les morts, et mieux vaut s’occuper desvivants.

– Ce Prytavin est philosophe ! ditun des convives.

– Je voudrais vous parler deMaurevers…

– Pauvre Maurevers ! dit lebaron.

– Mais il est mort, lui aussi, ditCharles de S…

– En a-t-on jamais eu la preuve ?demanda Marmouset.

– Parbleu ! puisqu’on a trouvé soncadavre.

– Vous vous trompez ; on a trouvéune figure de cire qui lui ressemblait, voilà tout.

– Mais… à Londres…

– À Londres, on prétend avoir vu uncadavre qui lui ressemblait pareillement ; mais rien de toutcela n’a été prouvé.

– Eh bien ?

– Donc, pour moi, et jusqu’àdémonstration du contraire, M. de Maurevers estvivant.

– Ah ! par exemple !

– Et c’est de lui que je viens vousparler…

On regarda Marmouset avec un étonnementcroissant.

Marmouset poursuivit :

– Il y a cinq ans, n’est-ce pas, queM. de Maurevers a disparu ?

– Le Moniteur, du moins,l’annonçait hier matin en le déclarant en état d’absence.

– Par conséquent sa succession estouverte.

– Elle le sera demain.

– Qui donc hérite ?

– Un cousin,M. de Maurevers-Beaucorps.

– Quelqu’un de vous leconnaît-il ?

– Oui, moi, dit Charles de S…

– Me donneriez-vous bien un mot derecommandation pour lui ?

– Mais, cher ami, dit le baron Hounot,que diable voulez-vous donc faire ?

– C’est mon secret, répondit Marmouset ensouriant.

M. Charles de S… se fit apporter uneplume, de l’encre, et écrivit la lettre suivante :

 

« À M. le baron deMaurevers-Beaucorps,

rue de Miromesnil, 72.

Mon cher baron,

Un de mes amis, archi-millionnaire,M. Prytavin, me demande un mot pour vous. Le voici. Faites cequ’il vous demandera, comme si je vous le demandais moi-même.

Votre dévoué,

Charles de S… »

Marmouset prit la lettre, ne voulut pass’expliquer davantage, déjeuna à la hâte, remonta en voiture etcourut rue de Miromesnil.

M. de Maurevers-Beaucorps était chezlui.

C’était un homme de quarante-sept ou huit ans,ancien capitaine de cavalerie, habitant la province sept ou huitmois de l’année, et ayant vécu jusque-là d’un assez mincerevenu.

Du reste, c’était un parfait gentilhomme d’uneexquise courtoisie, et quand il eut pris connaissance de la lettrede M. de B… il dit à Marmouset.

– Monsieur, je suis entièrement à votreservice.

– Monsieur le baron, répondit Marmouset,vous allez être mis en possession de la fortune du marquis deMaurevers.

– Mon cousin, que je ne connaissais pas,répondit le baron, et si j’ai compté sur quelque chose, en ma vie,ce n’est certes pas sur cet héritage ; mais comme on n’a pasla preuve de sa mort, du reste, la loi ne m’autorise qu’à user desrevenus et je ne pourrai disposer du capital que dans un certainnombre d’années.

– C’est précisément à propos de cethéritage que j’ai l’honneur de me présenter chez vous, monsieur,reprit Marmouset.

– Ah ! fit le baron surpris.

– Je crois pouvoir vous affirmer que lemarquis de Maurevers a fait un testament.

Le baron tressaillit.

– Dans ce testament, poursuivitMarmouset, il laisse sa fortune à ses héritiers naturels, à vouspar conséquent.

Le baron respira.

– Mais il dispose de quelques legs.

– Si ce testament existe, dit le baron,il sera fidèlement respecté.

– Je crois pouvoir vous affirmer, repritMarmouset qui se rappelait presque mot pour mot, le manuscrit deTurquoise, que vous le trouverez dans le cabinet de travail dumarquis, dans le deuxième tiroir de gauche de son secrétaire.

– Monsieur, répondit le baron, je nepourrai vérifier le fait que demain, jour de la levée des scellés.Si même vous voulez vous trouver à midi à l’hôtel Maurevers…

– J’y serai.

Et Marmouset se leva.

– Pardon, monsieur, dit encore le baron,permettez-moi une question indiscrète.

– Faites, monsieur.

– Étiez-vous des amis de mon malheureuxcousin que vous savez qu’il a fait un testament ?

– Non, monsieur mais je suis lemandataire d’une femme.

– Ah !

– Qui a été la maîtresse deM. de Maurevers.

– Fort bien.

– Et à qui, dans ce testament, le marquislaisse un souvenir.

– Je me conformerai à toutes lesdispositions de ce testament. À demain, monsieur.

Marmouset prit congé de M. deMaurevers-Beaucorps et se dit, en s’en allant :

– Ce que nous voulons, ce sont lesjardinières. Turquoise est morte. Mais Vanda peut fort bien, jouerle rôle de Turquoise, et nul ne nous contredira, attendu quepersonne n’a pu connaître Turquoise, qui doit être désignée dans letestament sous le nom de Jenny.

Et Marmouset retourna à l’hôtel de la rue deMarignan.

Vanda venait d’en sortir pour se rendre ruedes Postes.

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