Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 29

 

Les bourreaux revenus, la Belle Jardinièreleur dit d’un ton ironique :

– Tenez compagnie à monsieur.

Puis elle ajouta, regardantMarmouset :

– Je viendrai prendre de tes nouvelles detemps en temps.

Et elle sortit.

Marmouset avait lutté, Marmouset avait étébrisé par mille émotions et il sentait une torpeur toute physiques’emparer de ses sens.

L’Espagnol et son complice s’étaient assisauprès de lui.

Marmouset, si las qu’il fût, les regardait etse demandait comment ils s’y prendraient pour l’empêcher dedormir.

En même temps aussi, il songeait à Rocamboleet se disait :

– Ah ! si je savais que le maîtrefût à Paris, je ne désespérerais pas.

Deux heures s’écoulèrent.

La surexcitation morale triompha chezMarmouset de la lassitude physique.

Pendant ces deux heures, il eut les yeuxouverts et les bourreaux n’eurent rien à faire.

Maris enfin la fatigue l’emporta. Ses yeux sefermèrent.

Soudain un épouvantable coup de tam-tam se fitentendre.

Marmouset rouvrit les yeux et bondit surlui-même autant que le lui permirent ses liens.

L’Espagnol venait de frapper sur un tambour decuivre avec une baguette de fer.

C’était le supplice qui commençait.

Vingt fois, pendant tes quatre ou cinq heuresqui suivirent, Marmouset ferma les yeux, vingt fois le terribletam-tam se fit entendre.

Mais on s’habitue aux bruits les plusstridents.

À mesure que te temps passait,l’engourdissement physique devenait plus grand.

Alors l’Espagnol dit à soncompagnon :

– Va chercher le seau.

Celui-ci sortit et revint peu après avec unseau d’eau glacée dans laquelle flottait une éponge.

Et chaque fois que Marmouset fermait les yeux,l’Espagnol lui exprimait l’éponge sur la tête.

Douze heures s’écoulèrent.

La Belle Jardinière reparut.

– Allez vous reposer, mes fidèles,dit-elle, j’ai dormi et je puis veiller à mon tour.

Marmouset commençait à éprouver d’intolérablesbourdonnements dans les oreilles et sa tête était lourde commeun boulet de bronze.

Néanmoins la vue de son ennemie lui donna ducourage.

Peut-être eût-il demandé grâce aux deuxhommes ; il se roidit contre la bohémienne.

Pendant deux ou trois heures encore, il luttade lui-même contre le sommeil.

Mais enfin ses yeux se fermèrent, de nouveauet soudain il jeta un cri de douleur.

La Belle. Jardinière venait de le piquer aubras avec une épingle d’or qu’elle avait prise dans sachevelure.

Les bourdonnements dans les oreillesaugmentaient, et Marmouset sentait sa raison s’en aller.

Chaque fois que ses paupières s’abaissaient,la terrible épingle se rougissait de son sang.

Le délire le prit.

Et dans ce délire, il lui sembla entendre unbruit sourd et lointain, comme celui d’une bêche qui travaillaitsans relâche au-dessus de sa tête.

Mais n’était-ce pas le résultat de cebourdonnement qu’il avait dans les oreilles et qui allait toujoursaugmentant ?

La Belle Jardinière, elle, paraissait ne rienentendre.

À demi couchée sur le divan auprès deMarmouset, elle s’était fait apporter une lampe sur un guéridon etlisait tranquillement à sa lueur.

Douze autres heures s’écoulèrent.

Le délire fit place, chez Marmouset, à uneextrême faiblesse.

Le besoin de dormir était devenu si impérieuxque souvent son implacable ennemie était obligée de le piquer deuxou trois fois de suite, pour qu’il rouvrît les yeux.

Les bourreaux vinrent relayer leurmaîtresse.

L’Espagnol portait un petit réchaud rempli decharbons ardents, et dans le réchaud, Marmouset, frissonnant,reconnut la terrible tige de fer avec laquelle il avait vu torturerle vieux duc de Fenestrange.

Mais le besoin de sommeil devenait siimpérieux, que, bien qu’il eût deviné l’usage qu’on allait faire dela tige de fer qui rougissait lentement, ses yeux se fermèrentencore.

Alors, l’un des bourreaux lui découvritl’épaule. Marmouset se laissa faire et ne se débattit point. Ildormait.

La tige rougie toucha son épaule, il seréveilla en rugissant.

Le troisième supplice commençait, et il duradouze autres heures pendant lesquelles Marmouset ne vit point laBelle Jardinière.

Chaque fois que ses yeux se fermaient, lachair fumait en criant sous le fer rouge.

Marmouset hurlait, le sang coulait par lesnarines, et une fièvre ardente le brûlait ; de temps en temps,il lui semblait encore entendre le bruit mystérieux de cette bêchequi travaillait toujours.

Tout à coup, l’Espagnol et son compagnon seregardèrent inquiets, étonnés…

Eux aussi, ils avaient entendu ce bruitétrange et l’Espagnol s’élança en dehors en disant :

– Il faut réveiller madame.

Alors, Marmouset eut un vague espoir, et unpeu d’énergie lui revint.

La Belle Jardinière accourut.

Marmouset vit l’Espagnol lever la main vers lavoûte de la salle, il vit la Belle Jardinière pâlir…

Il entendit distinctement ce bruit qu’il avaitpris longtemps pour le résultat d’une hallucination…

Et tout à coup le plâtre de la voûte sedétacha par fragments.

Tout à coup encore, une pierre oscilla ettomba aux pieds de la Belle Jardinière, qui fit un pas enarrière.

Cette pierre, qui fut suivie d’une autre,laissa voir soudain une ouverture béante, et soudain aussi deuxhommes s’élancèrent l’un après l’autre, comme une grappe humaine,par cette ouverture, et la Belle Jardinière jeta un cri.

À ce cri d’épouvante, Marmouset, à demi mort,répondit par un cri de triomphe, et la vie lui revint.

Rocambole et son fidèle Milon venaient detomber comme la foudre, le poignard aux dents, le revolver, aupoing, au milieu de ses bourreaux.

Marmouset était sauvé !…

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