Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 37

 

Le manuscrit de Turquoise.

(Suite.)

Revenons maintenant à Bayonne et àPerdito.

L’homme aux cheveux blancs et à la tournuremilitaire regarda alors la gitana.

Roumia se leva et voulut se retirer, pardiscrétion, dans la pièce voisine.

Mais le vieillard fit un signe :

– Restez donc, mon enfant, dit-il, vousêtes trop bien la femme que j’ai rêvée pour compagne à ce cher amipour que vous soyez de trop dans notre conversation.

Il avait un sourire diabolique, cet homme, unevoix moqueuse et sifflante, et malgré son audace habituelle Perditoavait de la peine à supporter son regard.

Il s’assit auprès de Roumia, lui prit la mainet lui dit :

– Vous êtes belle, mon enfant, et vousêtes destinée à tourner bien des têtes.

– Ne parlez, pas ainsi, exclama Perditod’une voix rauque et levant sur le vieillard un œil farouche.

– Pourquoi donc, mon fils ? demandal’inconnu de sa voix moqueuse.

– Parce que si elle me trompait, je latuerais.

– Bien parlé, mon louveteau ! Maisil n’est pasquestion de cela aujourd’hui.

– Que voulez-vous donc ?

– Je vous l’ai dit, je suis celui quevous attendez, reprit le vieillard.

– Cela ne me dit pas qui vous êtes.

– Je suis l’homme qui, il y a vingt ans,vous a confié à José Minos.

– Alors vous êtes le marquis deMaurevers ?…

Le vieillard ne sourcilla pas.

– Non, dit-il.

– Tiens, fit Perdito avec cynisme,j’aurais cru que vous étiez mon père.

– Je n’ai pas cet honneur, répondit levieillard avec un accent dédaigneux.

– Alors pourquoi m’avez-vous confié àJosé Minos ?

– C’est mon secret.

Mais Perdito était logique :

– Si vous avez des secrets pour moi,dit-il, pourquoi êtes-vous ici ?

Le vieillard tressaillit, regardaattentivement Perdito et dit enfin :

– Il y a des heures où je douteencore.

– De quoi ?

– De votre perversité.

– Vous êtes bien bon ! murmura lebandit avec un sourire cynique.

– Je vous ai pourtant suivi pas à pas,quoique invisible, reprit le vieillard, et j’ai un joli dossiervous concernant. Vous avez vingt ans, et déjà vous avez été voleuret assassin.

– On fait ce qu’on peut,murmura Perdito.

– Vous avez failli être fratricide…

– Ah ! vous convenez donc que jesuis le fils du marquis de Maurevers ?

– Sans doute.

– Et par conséquent le frère de ce jeunehomme qui me ressemble trait pour trait ?

– C’est la vérité pure.

– Ma foi ! monsieur mon protecteurinconnu, reprit Perdito avec un accent de férocité qui fittressaillir d’aise le vieillard, si je ne l’ai pas tué, il n’y apas de ma faute, allez.

– Vraiment ?

– Et sans José Minos, je lui cassais latête d’un coup de pistolet.

– Vous le haïssez donc bien ?

– Je voudrais le dévorer vivant.

– Mais c’est votre frère…

– Expliquez ça comme vous voudrez ;jamais je n’ai haï personne comme lui.

– Aujourd’hui encore ?

– Aujourd’hui plus que jamais.

– Il ne vous a pourtant fait aucunmal ?

– Je l’ai vu l’espace d’une heure ;mais il a suffi de la première minute pour développer en moi unehaine mortelle.

– Et s’il vous avait volé votrehéritage ?

À ces mots du vieillard, Perdito bondit.

– Vous dites qu’il m’a volé ?

– Oui.

– Une fortune ?

– Immense : plus de cent millelivres de rente.

Perdito ouvrit son paletot et montra le manched’un poignard qu’il portait à sa ceinture :

– Je le lui enfoncerai dans le cœur,dit-il.

– Je ne vous en empêcherai pas, moi,répondit le vieillard en souriant ; mais le moment n’est pasvenu.

– Que voulez-vous dire ?

– Que vous avez besoin de compléter votreéducation.

– Comment cela ?

– Écoutez. Un coup de poignard est chosevulgaire. Celui qu’il atteint meurt en dix secondes : ce n’estvraiment pas une vengeance.

– Soit, mais alors ?…

– Et je veux que vous frappiezmortellement le marquis de Maurevers, tout en prolongeant sa vie leplus possible, afin que son agonie soit lente et cruelle.

– Ah çà ! dit Perdito, vous lehaïssez donc bien aussi, vous ?

– Autant que vous, si ce n’est plus.

– Pourquoi ?

– Parce qu’il est le fils de l’homme quim’a déshonoré !

– Bon ! fit Perdito, alors je saisqui vous êtes.

– Vous ?

– Vous êtes le mari de ma mère.

– Justement.

– Et, dit Perdito plongeant son regardardent dans l’œil cruel du vieillard, je vois que nous étions faitspour nous entendre.

– Je n’ai rien épargné pour votreéducation, mon cher enfant.

Et le rire satanique du vieillard lereprit.

– Mais enfin, continua Perdito, quevoulez-vous faire de moi ?

– Après avoir perverti votre âme, je veuxfaire l’éducation de votre esprit. Aujourd’hui vous êtes un banditignorant, je veux faire de vous un homme distingué de touspoints.

– Et puis ?

– Et puis alors je vous dirai quelle estla vengeance que je compte exercer surM. de Maurevers.

Puis le vieillard prit la main deRoumia :

– Quant à vous, ma toute belle, dit-il,je veux que vous passiez à travers le monde comme un météoresinistre ; je veux que vous semiez des sourires et que nousrécoltions des cadavres. Vous êtes la plus belle pomme de discordeque j’aie jamais vue.

– Vous êtes galant, répondit Roumia,flattée du compliment.

Le vieillard reprit :

– Nous partons demain.

– Ah ! Et où allons-nous ?

– Voyager.

– En quel pays ? demandaPerdito.

– Nous allons parcourir l’Europe :Car dès aujourd’hui je vous adopte tous deux et vous êtes mesenfants.

**

*

Le lendemain, en effet, le vindicatif duc deFenestrange quittait Bayonne en compagnie de Perdito et de Roumiaet prenait la route d’Italie.

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