Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 4

 

Le manuscrit de Turquoise.

(Suite et fin.)

Vous savez, Rocambole, le bruit que fit ladisparition de M. de Maurevers.

On le chercha partout ; la police mit encampagne ses plus habiles agents.

Tout cela fut inutile.

Personne, excepté moi peut-être, ne pouvaitdeviner ce que le marquis était devenu.

Et cependant, je me tus.

Pourquoi ?

C’est que j’avais fait un serment à Maurevers,un serment solennel, – celui de ne jamais prononcer son nom, de nejamais parler de lui, tant il avait peur que les mystérieux ennemisqui le poursuivaient n’attentassent aux jours de son fils.

Pendant un mois, je ne perdis pas tout espoir.J’en avais la conviction, il était tout entier à Roumia.

Le tuerait-elle à la peine de cette ivresseempoisonnée ?

L’aimait-elle ardemment ?

Perdito était-il bien mort ?

Je m’adressais ces trois questions tour à touret sans relâche, sans pouvoir les résoudre.

L’enfant me demandait souvent son père, et jene savais que lui répondre.

Enfin, une lettre m’arriva.

Cette lettre portait le timbre de Marseille etje ne pus réprimer un cri de joie en reconnaissant l’écriture de lasuscription.

C’était celle du marquis.

Cependant mon émotion était telle que jen’osais briser le cachet, et je regardais machinalement les timbresde la poste.

L’administration marseillaise avait impriméavec sa griffe, sur l’enveloppe, la date du 3 avril.

Pourtant nous étions au 20 juin.

Cette lettre avait donc mis six semaines àvenir de Marseille à Paris !

Je l’ouvris :

« Ma bonne Jenny, me disait le marquis,le vent de la fatalité m’emporte. Je suis aux griffes de Roumia.Cette femme que je crains, cette femme que j’adore, ange ou démon,s’est emparée de mon âme et de mon corps.

Chercher à rompre le lien qui m’attache à elleest chose impossible.

Elle m’emmène…

Où ? Dans quel pays ?

Je ne sais.

Un bateau chauffe dans le port. Nous partonsdemain matin.

Je lui ai demandé quand nous reviendrions àParis, elle m’a répondu :

– Dans deux ans.

Et je t’ai abandonnée, et j’abandonne monfils. Voici la première lueur de raison que j’ai depuisquarante-huit heures ; car c’est avant-hier que nous avonsquitté Paris.

Bénie soit-elle, cette heure, car elle mepermet de songer à vous et de t’écrire en cachette.

Personne ne doit savoir où je suis, si je suismort, ou vivant.

C’est Roumia qui le veut.

On doit déjà s’inquiéter de ma disparition àParis, car j’ai pris mille précautions pour faire disparaître mestraces.

Néanmoins la justice ne sera émue que dansquelques jours et il faut se hâter.

Avant qu’on ne me croie mort, avant qu’on nemette les scellés chez moi, recherche dans ton petit appartement unpardessus d’alpaga blanc que j’ai laissé l’autre soir.

Dans la poche de côté est une clé.

Cette clé est celle du jardin de mon hôtel. Ilfaut avoir de l’audace à certaines heures.

Tu sais où est le titre de rente quiappartient à mon fils.

Ce titre, il faut que tu ailles lechercher.

Pénètre chez moi dans le milieu de la nuit,glisse-toi dans l’ombre, comme un voleur, mais aie le titre derente.

Je suis si près de devenir fou, que dans huitjours peut-être j’indiquerais cette cachette à Roumia. Adieu,plains-moi et aime mon fils.

GASTON. »

Cette lettre, Rocambole, est la dernièrenouvelle que j’ai eue de Gaston de Maurevers.

Mais elle me suffit pour avoir la convictioninébranlable que Gaston n’est pas mort.

Maintenant, cette lettre mise à la poste le 3avril et qui ne me parvenait que le 20 juin, arrivait trop tard,comme bien vous pensez… Les scellés étaient mis sur l’hôtel ;et j’étais presque sans ressources, car le marquis me donnait del’argent tous les mois et n’avait pu prévoir notre brusqueséparation.

J’avais devant moi deux ou trois mille francset quelques bijoux.

J’ai vécu deux années avec, élevant cet enfantqui était tout ce qui me restait de mon bien-aimé Maurevers.

Le chagrin m’a tuée. La misère est venue enaide au chagrin.

Je me sens mourir.

Pendant deux années, j’ai espéré le retour dumarquis.

Le marquis n’est pas revenu.

Est-il mort ?

Non, j’en suis certaine ! Une voix sainteme crie : Maurevers vit, mais il vit en souffrant un long etcruel supplice, et un homme seul peut le sauver.

C’est Rocambole !

Si vous pouvez parvenir à retrouver lajardinière en chêne sculpté dans laquelle est le titre de rente,l’avenir de l’enfant est assuré, et mon âme sera tranquille dansl’autre monde.

Si vous retrouvez Maurevers,vengez-le !

Adieu, je compte sur vous !

TURQUOISE.

Là s’arrêtait le manuscrit.

Mais une autre main, celle de Rocambole, avaitécrit en marge de la dernière page ces lignes :

Aux termes de la loi, les scellés doiventrester sur les meubles du marquis Gaston de Maurevers, et ses bienssous le séquestre, jusqu’au jour où son absence aura été légalementet judiciairement constatée.

J’ai reçu le dernier soupir de Turquoise,l’enfant est à l’abri de tout besoin ; il n’y a donc pasurgence, avant deux années au moins, à rechercher le titre de rentedont il est question.

Dans deux ans, il y en aura près de cinq quele marquis a disparu.

Il sera temps alors de mettre tout en œuvrepour retrouver le meuble qui renferme le titre de rente. »

**

*

Marmouset et Vanda se regardèrent, en arrivantà la fin de ce singulier manuscrit.

– Tout cela ne nous apprend pasgrand’chose, dit Vanda.

– Pardon, répondit Marmouset.

– Ah !

– D’abord, il est une chose qui ne faitpas doute pour moi.

– Laquelle ?

– Ces ! que Roumia et la BelleJardinière ne font qu’un.

– Bien. Après ?

– Et que, maintenant que nous tenons laBelle Jardinière, il faudra bien qu’elle nous dise ce qu’elle afait du marquis de Maurevers.

Mais la porte s’ouvrit brusquement, tandis queMarmouset parlait. Et Milon, pâle, bouleversé, les habits déchirés,entra en s’arrachant les cheveux et disant :

– Vous vous trompez : nous ne tenonsrien du tout.

– Que dis-tu ? s’écria Marmousetfrémissant.

– Une fois encore l’oiseau s’estenvolé ! murmura Milon d’une voix étouffée.

Et il se laissa tomber, anéanti et pleurant,sur le premier siège qu’il rencontra, tandis que Vanda et Marmousetse regardaient avec stupeur.

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