Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 19

 

Le prétendu cocher, arrêta brusquement seschevaux. En même temps, Marmouset ouvrit la portière et sautalestement à terre, toujours son revolver à la main.

Puis, d’un bond, il se trouva sur le siège àcôté de l’Espagnol.

Car c’était bien l’Espagnol, le tyran jaloux,qui se montrait à l’Opéra en compagnie de la Belle Jardinière qu’ildonnait pour sa femme.

Marmouset l’avait reconnu en dépit de sondéguisement et malgré une perruque qui lui couvrait une partie dufront.

Milon était demeuré dans la voiture.

– Mon bon ami, lui dit Marmouset, aussivrai que je suis là auprès de vous, je vous jure que je vais vouscasser la tête si vous ne m’obéissez pas de point en point.

L’Espagnol s’était pris à trembler.

– Descendez de votre siège, dit encoreMarmouset, et donnez-moi les rênes.

Puis il cria :

– Hé ! Milon !

Le colosse mit la tête à la portière.

– Tu as un poignard, n’est-ce pas ?demanda Marmouset.

– Toujours, répondit Milon.

– Alors, prends monsieur, au collet,tiens-le dans la voiture à côté de toi ; et s’il bouge tue-lecomme un chien.

Milon exécuta ponctuellement les ordres deMarmouset, au moins pour la première partie.

Mais l’Espagnol qui ne s’attendait pas à cetteaventure, quelques minutes auparavant, tremblait de tous sesmembres et n’avait garde de bouger.

Marmouset prit les rênes, fit siffler lefouet, donna deux coups de langue et les fit repartirent au grandtrot.

Au Pont-Neuf, Marmouset passa sur la rivedroite et gagna la rue de Rivoli. Puis il se dirigea vers la placede la Concorde, remonta les Champs-Élysées et arriva rue deMarignan.

Le coupé que Marmouset avait renvoyé quelquesinstants auparavant, ressortait de l’hôtel en ce moment.

Vanda n’était pas rentrée.

Marmouset commanda au cocher de rentrer sousla voûte et de laisser la grille ouverte.

Puis il entra à son tour, et le fiacre vints’arrêter devant le perron.

Milon, sur un signe de Marmouset, descendit devoiture, tirant l’Espagnol après lui.

Mais l’Espagnol n’opposait aucune résistanceet paraissait en proie, à une grande terreur.

On le fit entrer dans la petite salle durez-de-chaussée où la veille on avait reçu le mystérieux messagerde Rocambole.

Puis Marmouset alluma deux bougies, ferma laporte et dit à l’Espagnol :

– Cher hidalgo, vous pensez bien qu’entregens comme nous, c’est celui qui est pris qui doit s’exécuter debonne grâce.

Le prétendu tyran de la Belle Jardinièreregardait Marmouset avec une sorte d’égarement.

Celui-ci continua en tirant samontre :

– Je vous donne trois minutes pour nousdire : d’abord où est la Belle Jardinière, ensuite où estVanda, enfin ce que vous faisiez sur la place du Panthéon, sous levulgaire déguisement d’un cocher de fiacre.

L’Espagnol parut retrouver quelqueassurance.

– Et si je refuse de répondre ?dit-il.

– Alors, dit Marmouset, comme nous sommesdans un quartier tranquille et qu’une détonation d’arme à feutroublerait le repos des voisins, monsieur et moi, nous vouscriblerons de coups de poignard jusqu’à ce que mort s’ensuive.

L’Espagnol regarda Marmouset.

– Si je ne parle pas, dit-il, vous metuerez ; mais si je parle, on me tuera.

– Qui donc ?

– On me tuera par l’ordred’elle, dit-il.

Et sa voix avait un accent de terreurprofonde.

– À moins que je ne vous protège, ditMarmouset avec assurance.

Un éclair d’espérance parut s’allumer dans lesyeux du pauvre diable.

– Vrai, dit-il, vous medéfendriez ?

– Certainement.

Mais il eut un sourire découragé.

– On ne se défend pas contreelle, dit-il c’est impossible.

– Je vous prouverai bien le contraire,mon maître, murmura Marmouset, mais enfin nous ne sommes pas icipour faire du sentiment. Voulez-vous nous répondre, oui ounon ?

Et il fit un signe à Milon qui leva sonpoignard.

L’Espagnol se décida à parler.

– C’est elle qui m’a placé surla place du Panthéon, dit-il.

– Quand cela ?

– Après qu’elle a eu enlevé l’enfant.

– Dans quel but ?

– Elle savait qu’une autre femme devaitse présenter à la pension et réclamer l’enfant.

Quand cette autre femme est venue, elle ainterrogé un commissionnaire.

– Un commissionnaire comme vous êtes uncocher, sans doute ? interrompit Marmouset.

– Oui. Le commissionnaire, qui avait sesordres, lui a donné des indications.

Ma voiture était la seule qui se trouvât surla place, elle y est montée sans défiance.

– Et où l’avez vous conduite ?

– À Saint-Mandé, par le nouveauboulevard. Mais, quand nous avons été près du chemin defer de ceinture, j’ai prétexté qu’il fallait laisser passer letrain, sans quoi mes chevaux auraient peur.

Alors deux terrassiers qui travaillaient à laroute se sont approchés du fiacre, ont vivement ouvert les deuxportières et se sont trouvés assis auprès d’elle.

Vous pensez bien que les terrassiers, commecommissionnaire, avaient leurs instructions. Ils ont étouffé lescris de la dame avec un bâillon, ils lui ont lié les mains ;puis, les stores baissés, j’ai fouetté mes chevaux.

– Et vous êtes allé ?…

– À Saint-Mandé.

– Après ? dit Marmouset.…

– Elle m’a renvoyé à Paris, medonnant l’ordre de ne pas quitter la place du Panthéon etd’observer. Comme je vous connaissais tous les deux, c’étaitfacile. Je ne pensais pas que vous me reconnaîtriez sous mondéguisement.

– Est-ce tout ?

– Je devais rejoindre madameaussitôt que j’aurais été fixé sur le parti que vous vouliezprendre.

– Ainsi elle est à Saint-Mandé ?

– Oui.

– Avec Vanda ?

– Oui, la femme blonde.

– Et l’enfant ?

– Aussi.

– Que veut-elle, faire de tousdeux ?

– Je ne sais pas.

– Mon cher monsieur, dit Marmouset, jevous ferai observer de nouveau que nous n’avons pas de temps àperdre.

– Mais, monsieur, s’écria l’espagnol quiperdit tout à coup son baratin méridional et s’exprima dans lefrançais le plus parisien ; mais, monsieur, je ne suis qu’unpauvre diable de domestique à qui on fait jouer un rôle.

– Ah ! vraiment ?

– Et je ne connais pas les secrets demadame.

– C’est fâcheux pour vous,répondit Marmouset. Allons, Milon, débarrasse-moi de ce drôle…

Et Milon leva de nouveau son poignard.

Le faux Espagnol pâlit et jeta un cri.

– Grâce ! dit-il, je dirai tout.

– Tout ?

– Oui, je vous le jure.

– Alors, voyons ? dit Marmouset quis’assit, et parut attendre la confession du complice de la BelleJardinière.

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