Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 28

 

Marmouset et Vanda se regardèrent après lalecture du second chapitre.

– Il me semble, murmure Vanda, que lesténèbres commencent à se dissiper.

Chapitre troisième.

Quatorze années s’étaient écoulées depuiscette nuit. Où le bandit José Minos, mis en liberté par le colonelduc de Fenestrange, avait regagné la montagne, emportant dans sonmanteau l’enfant de l’adultère.

On était donc en l’année 1837, et vers la findu mois de février.

Une chaise de poste, partie de Bayonne laveille au matin, arriva vers cinq heures du soir dans ce mêmevillage d’Ojaca où nous avons entrevu le bandit.

Les temps étaient bien changés, et cependantla guerre désolait de nouveau la péninsule, mais ce n’était plus laguerre étrangère.

Aucun peuple voisin n’avait franchi lesPyrénées, aucune nation ennemie n’avait envahi le sol espagnol.

L’Espagne était livrée aux horreurs de laguerre civile.

Carlistes et christinos se disputaient leroyaume, pied à pied, se livrant de sanglantes escarmouches et demeurtrières batailles.

Le général carliste Cabrera occupait l’Aragon,la province de Valence s’apprêtait à envahir l’Andalousie.

Mina défendait Madrid.

Quel serait le résultat de la lutte ?

Nul ne le savait, nul ne pouvait leprévoir.

L’Espagne aurait-elle pour roi don Carlos oupour reine Isabelle ?

L’Europe attendait.

Il fallait donc une certaine hardiesse pourvoyager en Espagne par ce temps de trouble.

La chaise de poste qui venait de s’arrêterdevant l’unique posadad’Ojaca, – c’est ainsi qu’on nommeune auberge, – était d’origine française, à en juger par la formeet la couleur, bien qu’elle fût traînée par des mules et conduitepar un postillon espagnol.

Sur le siège, un maigre domestique, en livréenoire.

Dans l’intérieur, une femme pâle, souffrante,en proie à la phtisie, et un jeune garçon de quinze à seizeans.

La berline de voyage était à peine arrêtée quedes soldats carlistes l’entourèrent.

Un officier ouvrit même la portière et, touten s’excusant avec courtoisie d’avoir à remplir un devoir, ildemanda aux deux voyageurs s’ils avaient un sauf-conduit.

À cette époque, la France, comme on le sait,d’accord avec, le gouvernement de la reine régente Marie-Christine,internait les prisonniers carlistes.

Plusieurs de ceux-ci étaient en résidence àBayonne.

Libres sur parole, ils pouvaient se promenerdans la ville, et ils étaient d’autant mieux accueillis par leshabitants que les populations du Midi, légitimistes et ardentes, nedissimulaient nullement leur sympathie pour la cause de donCarlos.

Parmi ces prisonniers se trouvait le généraldon Ramon M…, l’ami de Cabrera.

Le général donnait à tout Français qui voulaitpasser en Espagne un sauf-conduit.

C’était cette pièce que réclamait l’officiercarliste, lequel s’exprimait d’ailleurs en très, bon français.

– Monsieur, lui dit la dame pâle etsouffrante, je suis la marquise de Maurevers, veuve d’un officierfrançais tué en duel ; voilà mon fils.

Nous nous rendons à Cadix dont les médecinsm’ont conseillé le climat pour ma santé qui dépérit de jour enjour.

Voici le sauf-conduit que vous medemandez.

Et elle tendit une lettre signée don Ramon M…et datée de Bayonne.

– Madame la marquise, répanditl’officier, qui, après avoir pris connaissance du sauf-conduit, lerendit, voilà qui est bon pour vous et vous ouvrira un passage àtravers les troupes du général Cabrera ; mais quand vousentrerez en Andalousie, non seulement cette pièce sera impuissanteà vous protéger, mais encore elle vous compromettra biencertainement.

La marquise eut un pâle sourire sur ses lèvresdécolorées.

– Heureusement, dit-elle, j’ai pris mesprécautions, monsieur.

– Ah ! fit l’officier.

– L’ambassadeur de la régente à Paris avisé mon passeport.

– Fort bien, dit le carliste, et vousvoici recommandée aux christinos. Mais cela ne suffit pas.

– Que faut-il donc encore ?

– À moins que vous ne vous décidiez àfaire un immense détour et à perdre environ deux semaines, vousserez forcée de traverser la montagne.

– Eh bien !

– Et dans la montagne, ni Cabrera, notrechef, ni Mina, le généralissime des christinos, n’ont plus aucunpouvoir.

– Que voulez-vous dire ?

– Là, continua l’officier, règne endespote le bandit José Minos.

Christinos et carlistes, Français ouEspagnols, nul ne passe sans payer rançon.

La marquise regarda son fils avecinquiétude.

L’enfant eut un éclair dans les yeux, un fiersourire sur les lèvres :

– Est-ce que je ne suis pas là pour tedéfendre, maman ? dit-il.

– Oui, mon enfant, répondit-elle. Maisque pourrais-tu, seul contre des bandits ?

Pendant qu’elle échangeait ces quelques motsavec l’officier carliste, la marquise avait mis pied à terre etentrait dans la posada.

L’officier reprit :

– José Minos a un traité tacite avecnous, il s’est engagé à ne jamais gêner nos opérations militaires,à ne point prendre parti pour les soldats de Mina.

En revanche, nous le laissonstranquille ; il vient dans les villages acheter de la poudre,du vin et de la farine, et nous sommes tenus de ne jamais faireescorter un voyageur, quel qu’il soit.

– Et si je tombe aux mains de cet homme,demanda la marquise, il exigera une rançon ?

– Énorme, madame.

– Et si je ne puis payer la somme qu’ilme demandera ?

L’officier baissa la tête et ne répondit pas.Un soldat qui était entré dans la posada et qui comprenait quelquesmots de français répondit pour lui :

– Quand on ne paye pas, murmura-t-il, onmeurt.

La marquise frissonna.

La femme qui tenait la posada et qui étaitjeune et jolie, regardait la voyageuse avec un sentiment decompassion pour ses souffrances :

– Señora, dit-elle en se penchant à sonoreille, passez la nuit ici, et je vous donnerai peut-être un bonconseil.

La marquise tressaillit et la regarda. Mais lacabaretière posa mystérieusement un doigt sur ses lèvres etretourna à son comptoir d’étain.

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