Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 18

 

Le même jour, à neuf heures du soir,M. Victor Prytavin, c’est-à-dire notre ami Marmouset, entra auClub des Asperges.

Il ne trouva que des visages consternés.

Le duel du matin, dégénéré en véritableboucherie, avait eu une issue funeste pour les deuxcombattants.

M. de Montgeron était mort dans lajournée.

On avait, emporté le baron Henri mourant etles médecins appelés en hâte avaient déclaré la blessuremortelle.

Cependant le baron vivait encore à neuf heuresdu soir.

Marmouset n’avait pas quittéM. de Montgeron jusqu’à son dernier soupir.

Le vicomte était mort en tenant le sermentqu’il avait fait à cette femme mystérieuse qui lui avait mis l’épéeà la main.

En vain, les larmes aux yeux, Marmousetavait-il essayé de lui arracher son secret.

Montgeron était mort en murmurant :

– Je l’aime !

Le vicomte ayant rendu le dernier soupir, unesorte de curiosité ardente s’était emparée de Marmouset.

Il devinait bien que la femme aux cheveux rouxétait la cause du duel. Mais quelle était cette femme ?

C’était là ce qu’il voulait savoir.

Aussi Marmouset venait-il au club avec levague espoir d’obtenir quelque renseignement qui fît jaillir lalumière sur cette ténébreuse affaire.

On causait, il écouta.

– Messieurs, disait le marquis de C…, lemême qui, jadis, avait présenté le major Avatar au club, il est unfait certain pour moi, c’est que ce pauvre Montgeron et le baronHenri n’avaient avant-hier matin aucun motif de haine l’un pourl’autre.

– Moi, dit un autre membre du club, jepuis vous affirmer qu’avant-hier, vers deux heures, je me promenaisavec le baron devant Tortoni lorsque nous avons rencontréMontgeron.

Ils se sont donné une poignée de main.

– Je ne vois qu’une histoire de femme quiait pu amener la singulière provocation de Montgeron, ajouta untroisième.

– Voilà qui est impossible, dit lemarquis.

– Pourquoi ?

– Mais parce que le baron n’habitepresque jamais Paris.

– Qu’importe !

– Qu’il a rompu voici deux ans avecGeorgette, sa dernière maîtresse.

– Peut-être une femme du monde.

– Il ne va pas dans le monde, mesamis.

– Messieurs, dit alors Marmouset, jecrois pouvoir vous certifier, moi, qu’il y a une femme dans cetteaffaire.

– Allons donc !

– Montgeron était amoureux.

– Ah !

– Amoureux fou.

– De qui ?

– D’une femme que j’ai vue… et qui lui adonné rendez-vous la nuit dernière.

J’avais passé la soirée avec lui, il m’aquitté pour aller à son rendez-vous.

Et il est revenu avec un duel sur lesbras ?

– Le baron n’était pas homme pourtant àtroubler un rendez-vous d’amour, observa le marquis de C…

– À quelle heure le rendez-vous deMontgeron ?

– Deux heures du matin.

– Bon ! dit un des membres du club,Henri est venu ici à minuit et ne nous a quittés qu’après laprovocation de Montgeron.

– Mais avant de venir ici il était allé àl’Opéra, n’est-ce pas ?

– Oui.

– Eh bien ! J’y étais aussi, moi,dit Marmouset, à deux pas de lui.

– Eh bien !

– Le baron causait de la femme dontMontgeron était amoureux…

– Mais quelle est donc cettefemme ?

– Messieurs, répondit Marmouset, vous mepermettrez de mettre dans tout ceci une certaine réserve. La femmequi a occasionné cette boucherie était fort maltraitée par le baronHenri, et je dois vous dire que j’ai ajouté foi à ses paroles.

– Ah !

– Je suis même convaincu que la mort deMontgeron doit être vengée, que cette femme doit être punie, etc’est pour cela que je suis ici.

On regarda Marmouset avec curiosité. Celui-cireprit :

– Le baron n’est pas mort…

– Il est blessé mortellement.

– Soit, mais il peut vivre quelquesheures encore.

– Peut-être…

– Qui de vous veut me conduira à sonchevet ?

– Les médecins s’opposent à ce qu’il voiepersonne.

– Mais il n’a pas le délire ?

– Il jouit de toute sa présence d’esprit,m’a affirmé Charles Hounot, le seul ami qui ait pu le voir, il y aune heure.

– Eh bien, messieurs, dit Marmouset avecconviction, si l’un de vous veut se charger de ma carte, surlaquelle j’écrirai deux mots au crayon, je suis persuadé que lebaron demandera à me voir.

– Venez, dit le marquis de C…, le baronest au Grand-Hôtel, nous n’avons que le boulevard à traverser.

Marmouset et le marquis quittèrent lecercle.

Dix minutes après ils pénétraient dans lepetit salon qui précédait la chambre du blessé.

M. Charles Hounot vint à la rencontre dumarquis et de Marmouset.

– Vous venez trop tard, dit-il d’une voixémue.

– Il est mort…

– Non, mais il va mourir… dans un quartd’heure tout sera fini. Laissez-le mourir en paix.

– Et sans vengeance, n’est-ce pas ?fit Marmouset.

M. Charles Hounot tressaillit et regardaMarmouset avec étonnement.

– Monsieur, dit Marmouset, les minutesvalent des siècles. M. le baron Henri meurt la victime d’unefemme.

– Que dites-vous ?

– Un mot de ses lèvres expirantes peutnous aider à le venger. Ce mot refuserez-vous donc qu’il leprononce ?

L’accent de Marmouset était si ému, siconvaincu, si impérieux, que M. Charles Hounot le prit par lamain et l’entraîna dans la chambre en disant :

– Venez !

Le baron était à l’agonie, mais son agonieétait sans délire.

Il regarda Marmouset et le reconnut pour undes témoins de son adversaire.

Ses lèvres ébauchèrent un sourire etmurmurèrent un mot.

– Merci.

Marmouset se pencha sur lui :

– Monsieur le baron, dit-il, j’étais àl’Opéra, hier.

– Ah ! fit le moribond.

– Je vous ai entendu prononcer le nom dela femme de don Ramon.

L’œil du mourant brilla.

– Montgeron aimait cette femme.

Le baron eut un éclair dans la prunelle etregarda Marmouset plus attentivement.

– C’est elle qui a armé son bras. Au nomdu ciel, monsieur, avant de mourir dites-moi son vrai nom.

Le baron se souleva à demi, ses yeuxétincelèrent comme deux brasiers. Puis il retomba mort.

Mais avec son dernier soupir un nom s’étaitéchappé de ses lèvres.

– LA BELLE JARDINIÈRE !

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