Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 30

 

L’émotion de Marmouset fut si forte qu’ilfaillit s’évanouir.

Mais déjà Milon était auprès de lui et avecson poignard coupa les liens.

En même temps, Rocambole posait sa main surl’épaule de la Belle Jardinière épouvantée, et luidisait :

– Tu ne me connais pas de vue… mais jevais te dire mon nom…

– Rocambole ! exclama Marmouset.

Mais Rocambole secoua la tête etdit :

– Pour madame, non, je ne suis niRocambole, ni le major Avatar… je suis…

Il s’arrêta et la regarda fixement :

– Je suis celui qui doit venir de l’Inde,dit-il.

Ce fut un coup de théâtre.

Cette femme hautaine et cruelle tout àl’heure, qui avait condamné Marmouset à une mort épouvantable, cedémon qui, depuis cinq ans, torturait le marquis de Maurevers, cemonstre qui faisait fouetter les enfants et frappait les vieillardsavec une tige de fer rougie, changea tout à coup d’attitude ettomba à genoux.

Elle s’agenouilla, non point en suppliante quidemande grâce, mais en esclave qui attend des ordres.

Et Rocambole la tint pendant un moment,palpitante, pleine d’effroi et d’obéissance, sous son œildominateur.

Le marquis de Maurevers dormait toujours deson lourd sommeil opiacé.

Rocambole le regarda un instant :

– C’est bien, dit-il, il n’est pas mort…il en reviendra… si tu avais des poisons qui tuent, j’en airapporté qui ressuscitent.

Puis il s’adressa à Marmouset :

– Et toi, depuis quand es-tuici ?

– Je ne sais pas au juste, réponditMarmouset, mais il y a au moins deux jours.

– Et Vanda, où est-elle ?

Marmouset étendit la main derrière lui.

– Dans ce souterrain, dit-il, elle estfolle.

Rocambole regarda sévèrement la BelleJardinière.

– Grâce, dit-elle, je lui rendrai laraison.

– Je l’espère bien, répondit-ilfroidement.

Alors. Marmouset fut témoin d’une scène nonmoins étrange qu’inattendue.

Il avait conservé quelques lueurs de raison,au milieu de ses tortures, et, par conséquent, en voyant apparaîtreRocambole comme un libérateur, il s’attendait à ce que celui-ci etson fidèle Milon feraient sur-le-champ justice de la BelleJardinière et de ses étranges complices.

Il n’en fut rien.

Rocambole remit son revolver et son poignard àla ceinture et dit à la Belle Jardinière :

– Je suis arrivé à temps pour eux et pourtoi. Si je les avais trouvés morts, ta dernière heure étaitvenue.

Elle était toujours courbée et, pour ainsidire, prosternée devant lui.

– Lève-toi, dit-il, esclave, j’ai besoinde tes services…

Et la Belle Jardinière se leva etdit :

– Maître, ordonnez, j’obéirai.

– Je crois, murmura Marmouset, que toutce que je vois et entends n’est qu’un rêve et que le délire m’arepris.

Rocambole entendit ces paroles :

– Toi, dit-il, tu as besoin de repos.Couche-toi… et dors…

Marmouset frissonnait, lui aussi, sous leregard du maître.

– Dors ! répéta celui-ci.

– J’ai soif !… balbutia Marmouset,dont la gorge était aride et qui continuait à rendre du sang parles narines.

Rocambole regarda la Belle Jardinière.

Celle-ci se tourna vers l’Espagnol, qui, ainsique son compagnon, était muet d’étonnement, et prononça quelquesmots dans cette langue mystérieuse que seuls les bohémienscomprennent.

L’Espagnol sortit et revint une minute après,portant un plateau sur lequel se trouvait un verre de vin qu’ilprésenta respectueusement à Marmouset.

Celui-ci hésitait à le prendre.

– Mais bois donc, dit Rocambole d’un tond’autorité.

Marmouset n’hésita plus.

Il vida le verre d’un trait ; puis ilretomba comme anéanti sur un amas de cailloux qui avait été son litde supplice, et ses yeux se fermèrent, obéissant plus encorepeut-être à l’influence magnétique du regard de Rocambole, qu’àcette lassitude inouïe qu’il éprouvait.

Alors, Rocambole se tourna vers la BelleJardinière :

– Suis-moi, fit-il.

**

*

Combien d’heures d’un sommeil profond,léthargique, sans rêves, Marmouset dormit-il ?

Il ne le sut pas lui-même.

Lorsqu’enfin ses yeux se rouvrirent, il étaittoujours dans cette salle bizarre où Rocambole était arrivé à sonsecours.

Mais Rocambole avait disparu.

Disparue aussi la Belle Jardinière, et avecelle le marquis de Maurevers.

Marmouset était seul, plongé dans unedemi-obscurité, car la salle n’était éclairée que par une lampe àglobe dépoli suspendue au plafond.

La brèche faite par Rocambole avait étérefermée, et toute trace en était effacée.

– Mais où suis-je donc ?s’écria-t-il en se levant.

À ces paroles, la porte s’ouvrit et Milonentra.

– Ah ! dit Marmouset, est-ce bientoi ?

– C’est moi.

– Où sommes-nous ?

– Dans le souterrain de Saint-Mandé.

– Et Vanda ?

– Le maître l’a emmenée.

– Et elle ?

Marmouset ne put réprimer un léger frisson enfaisant ainsi allusion à la Belle Jardinière.

– Partie avec lui.

– Étrange ! murmura Marmouset.

– Je suis de votre avis, dit Milon, maisvous savez bien que le maître a toujours son idée.

– Mais il est donc bien vrai qu’il est deretour, s’écria Marmouset, dont le cerveau était confus encore. Jel’ai donc vu !

– Comme vous me voyez.

– Et il est parti ?

– En vous laissant ceci.

Et Milon mit une lettre volumineuse sous lesyeux de Marmouset.

Celui-ci lut :

Histoire du major anglais sir EdwardsLinton, recueillie par le major Avatar.

Et Marmouset se mit à dévorer les pages de cemanuscrit, qui était l’œuvre de Rocambole.

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