Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 7

 

Dix ans se sont écoulés depuis que la belleKôli-Nana a été soustraite au sort barbare qui l’attendait.

Les quatre frères de la veuve avaient succombédans la lutte, et eux seuls auraient pu s’apercevoir de lasupercherie imaginée par le père et la sœur de Kôli-Nana, deconcert avec Osmany.

Conduite chez son père, Kôli-Nana y a vécucachée pendant plusieurs mois.

Durant ce temps, ses cheveux noirs devenaientblonds par les soins de l’habile médecin indien.

En même temps, on disait dans les montagnesque Kôli-Nana, la veuve du rajah, avait été soustraite au bûcherpar des soldats anglais, et nul ne soupçonnait Osmany, le nouveausouverain.

Ce qui fit qu’au bout de six mois, le jeuneprince s’en alla épouser en grande pompe celle qu’on croyait êtrela sœur de Kôli-Nana elle-même.

Ce voile de soie qui couvre une partie duvisage des femmes hindoues favorisait, du reste, cettesubstitution.

Ces dix années avaient vu bien desévénements.

Le rajah Osmany avait appelé sous sa bannièretoutes les tribus éparses de la montagne, prêchant la croisade del’indépendance.

Le petit prince montagnard était devenu ungrand souverain.

Jadis le rajah Nijid-Kouran avait à peinequelques petits villages sous son sceptre ; son frère Osmanyavait planté son drapeau sur une douzaine de villes florissantes,au sein de vallées fertiles.

Nijid-Kouran n’avait été qu’un chef departisans luttant à forces inégales avec la puissanteAngleterre ; Osmany était devenu un grand prince que laCompagnie des Indes désespérait de réduire jamais àl’obéissance.

Pourtant, on s’en souvient, Osmany avait ditau major sir Edwards Linton :

– Que l’Angleterre sauve Kôli-Nana et jelui obéirai.

Osmany avait-il donc éludé sa promesse, fouléaux pieds ses serments ?

Non, le major sir Edwards lui avaitdit :

– Ce n’est pas l’Angleterre qui a sauvéKôli-Nana, c’est moi.

Dès lors, le major était devenu l’ami durajah, qui l’avait fait son premier ministre.

Avec la merveilleuse connaissance des mœurs etde la langue des Hindous, il n’avait pas été difficile au major depasser aux yeux des sujets d’Osmany pour un véritable Indien.

En même temps, le bruit de la mort du majors’était répandu à Calcutta.

On avait dit, un mois après l’enlèvement deKôli-Nana, enlèvement qui avait produit, du reste, une certainesensation, on avait dit que le major avait été assassiné par lesHindous.

Et jamais, depuis, on n’avait eu de sesnouvelles.

La vérité, pourtant, était que le major,devenu tout à fait Indien, disciplinait à l’européenne les troupesdu rajah Osmany, courbait son peuple sous des lois moins barbareset plus civilisées, et transformait cette peuplade en un grandpeuple.

Le major avait-il donc trahil’Angleterre ?

C’était ce qui semblait ressortir de saconduite, d’autant mieux que, partout à l’entour d’Osmany, lespeuples soumis se révoltaient un à un et venaient se ranger sous labannière du rajah.

Le major avait alors quarante ans.

Il était brave jusqu’à la témérité ; ilavait battu les Anglais à plusieurs reprises en bataille rangée, etle nom de Tippo-Runo, – c’était celui qu’il avait pris, – étaitdevenu la terreur des armées anglaises.

Deux personnes seules connaissaient savéritable origine, – Osmany et Kôli-Nana.

Cette dernière avait donné un fils à Osmany,et ce fils, qui n’avait pas encore dix ans, promettait d’êtrevaillant comme son père et intelligent comme lui.

Ce fut à cette époque qu’un Européen, unFrançais, se présenta à la cour du rajah.

Cet Européen, ce Français, c’était moi,Rocambole.

J’étais allé dans l’Inde pour livrer àl’Angleterre les chefs des Étrangleurs.

Ma mission accomplie, j’étais libre deretourner en Europe ou de chercher des aventures sous ce cielbrûlant, dans ce pays mystérieux des bords du Gange et del’Euphrate qui séduira toujours l’imagination des hommes de matrempe.

Le rajah m’accueillit avec faveur ; ilm’offrit même un commandement dans son armée.

J’acceptai.

Mais je m’aperçus bientôt que j’excitais lajalousie de Tippo-Runo, c’est-à-dire du major Linton.

Le rajah Osmany avait en cet homme uneconfiance aveugle.

Dès le premier jour où je le vis, je ressentisen moi une singulière répulsion pour lui.

– Cet homme, me disais-je, cet homme quia trahi l’Angleterre, trahira le rajah tôt on tard.

Cependant, il était comblé de biens etd’honneurs, et il était difficile qu’il pût souhaiterdavantage.

Mais cet homme avait fait un rêve, – on rêved’ambition suprême.

Être premier ministre n’était rien ; ilvoulait régner !

Il y a toujours autour d’un trône quelconquedes hommes qui conspirent ; et les conspirateurs sont souventles amis ou les parents du souverain.

Osmany avait un neveu, un fils de Nijid-Kouranet d’une autre femme que Kôli-Nana.

En Europe, le fils du roi lui succède ;en Orient, le trône se transmet souvent du frère au frère.

Le fils de Nijid-Kouran avait vingt ans, ilconvoitait cet empire qui était bien plus l’œuvre de son oncle quecelle de son père.

Mais il n’avait ni puissance, ni partisans, etautour de lui Osmany ne comptait que des sujets fidèles.

Un seul homme pouvait le comprendre, c’étaitTippo-Runo, c’est-à-dire le major sir Edwards Linton.

Tippo et le prince déshérités’entendirent.

Le premier fomenta une révoltemilitaire ; mais la révolte fut comprimée et Tippo-Runo agitsi habilement que toute la responsabilité en retomba sur le jeuneprince, qui fut mis à mort.

Osmany n’avait pas même soupçonné de trahisoncelui qu’il appelait son fidèle Runo.

Un seul homme avait deviné la part occultequ’il avait prise dans le complot.

C’était moi.

Essayer d’ouvrir les yeux au rajah Osmanyétait impossible.

Lutter avec Tippo-Runo était chosedifficile.

Néanmoins, j’acceptai la lutte, une luttesourde, implacable, sans trêve, ni merci.

Depuis que j’avais un commandement dansl’armée, j’habitais un véritable palais aux portes de Bénarès.

Un jour, un officier de Tippo-Runo vintm’engager de sa part à l’aller visiter dans sa résidence des bordsdu Gange.

Je montai à cheval, et je partis.

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