Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 24

 

Marmouset fui pris d’un accès de ragefolle.

Son revolver était déchargé.

Mais il avait un poignard sur lui, et, cepoignard à la main, il se rua sur la Belle Jardinière, décidé à enfinir.

Elle ne bougea pas et l’attendit de piedferme.

Et comme il approchait, le poignard levé, ellese mit à rire et croisa ses bras sur sa poitrine.

Il frappa.

Le poignard rencontra un corps dur etmétallique, et se brisa en deux morceaux.

Marmouset voulut alors la prendre à bras lecorps et l’étouffer.

Mais elle lui glissa des mains, et cette lueurétrange qui l’entourait s’éteignit.

Une fois de plus, Marmouset se trouva dans lesténèbres.

Alors, fou de fureur, désarmé, réduit àl’impuissance, il se mit à chercher son ennemie dans l’ombre et nela trouva pas.

Il avançait toujours ; et, à mesure qu’ilavançait, le rire strident paraissait fuir devant lui.

Puis, soudain, ce rire cessa de se faireentendre.

Soudain, aussi, une faible clarté brilla dansl’éloignement.

Marmouset prit cette clarté qui léchait le solet paraissait passer sous une porte, pour le but de sa course, et,peu soucieux de rencontrer des pièges en route, sans même songer ausort du malheureux cocher, sous les pas duquel un abîme s’étaitentr’ouvert et refermé, il s’élança en avant et ne s’arrêta quelorsqu’il eut rencontré un obstacle.

Cet obstacle, c’était une porte.

Une porte au travers de laquelle filtrait cerayon de lumière qui lui avait servi de guide.

Et cette porte céda devant lui.

Alors, une grande clarté vint frapperMarmouset au visage, et il s’arrêta sur le seuil.

Il se trouvait à l’entrée d’une salle assezvaste, une sorte de boudoir qui ressemblait par son ameublement àcette chambre que Roumia avait à Londres, et dans laquelle lemarquis de Maurevers avait été transporté, et dont Marmouset avaitlu la description dans le manuscrit de Turquoise.

Au milieu il y avait un lit.

Sur ce lit une femme était couchée.

Marmouset jeta un cri en l’apercevant ets’élança vivement vers elle.

Ce n’était pas la Belle Jardinière.

C’était Vanda.

Vanda ne dormait pas, elle avait même les yeuxouverts.

En entendant prononcer son nom. elle semit sur son séant et regarda le jeune homme.

– Qu’est-ce que vous me voulez ?dit-elle.

Marmouset recula effaré.

Vanda avait l’œil brillant de la folie, etelle ne le reconnaissait pas.

– Oui, dit-elle d’une voix mélancoliqueet douce, je me suis appelée Vanda autrefois, mais ce n’est plusmon nom.

Je m’appelle aujourd’hui la sultane Fatma etje vais épouser le prince Ali, le frère aîné du sultan mon premierépoux.

Le prince Ali succède au sultan.

Ce sera une belle fête que celle de mes noces,vous verrez.

Et, regardant Marmouset avec plusd’attention.

– Il me semble que je vous connais, vous,dit-elle ; où donc vous ai-je déjà vu ? N’êtes-vous pasle premier officier du prince Ali ?

– Vanda ! Vanda ! s’écriaMarmouset avec désespoir ne me reconnaissez-vous donc pas ? Jesuis Marmouset…

– Ce nom m’est inconnu, dit-elle.

Il eut une inspiration et prononça un autrenom.

Rocambole !

Vanda tressaillit et elle descendit du lit derepos.

Puis, posant sa main sur l’épaule deMarmouset :

– Comment avez-vous dit ?dit-elle.

– Rocambole ! répéta Marmouset.

Elle fronça le sourcil, son front seplissa ; elle prit même sa tête à deux mains, comme si elleeût voulu rassembler tout un monde de souvenir épars.

Mais l’effort était sans doute trop grand pourelle ; car elle partit tout à coup d’un éclat de rire etdit :

– Je ne me souviens pas !

Il y avait un piano dans cette sallemystérieuse.

Vanda se dirigea vers l’instrument etl’ouvrit.

Puis elle s’assit devant, et ses doigtscoururent agiles sur le clavier.

Marmouset immobile, la sueur au front,murmurait :

– Folle ! folle ! elle estfolle !

– Comme tu seras fou dans quelquesheures, dit tout à coup une voix derrière lui.

Il se retourna. La Belle Jardinière était surle seuil.

– Ah ! misérable, dit Marmouset, quivoulut de nouveau s’élancer vers elle.

Mais soudain ses jambes refusèrent de leporter, et, quelque effort qu’il fît, il lui fut impossible defaire un pas.

Il semblait qu’une barrière invisibles’élevait entre elle et lui.

– Écoute-moi, dit-elle.

– Misérable ! répéta Marmouset.

Vanda continuait à promener ses deux mains surle clavier et ne les entendait pas.

La Belle Jardinière reprit :

– Tu as voulu te mêler d’affaires quin’étaient pas les tiennes, pénétrer des secrets qui net’appartenaient pas.

Comme le baron Henri, commeM. de Montgeron, tu as voulu soulever le voile mystérieuxqui pesait sur la destinée du marquis de Maurevers.

Montgeron et le baron sont morts.

Cette femme que tu vois a voulu savoir, elleaussi…

Regarde ! elle est folle !

Maintenant, je te donne à choisir tonsort.

Veux-tu savoir et mourir ? veux-tu vivreet devenir fou ?

Ce nom de folie donnait le vertige àMarmouset.

– Si tu veux savoir, tu sauras. Tu verrasle marquis de Maurevers… Mais quand tu auras vu, tu mourras…

Si tu veux vivre, – qui sait ? la folieest peut-être le vrai bonheur, – je n’ai qu’à faire un signe, unmouvement, presser un ressort… vois plutôt…

Et la main de la Belle Jardinière se promenaun moment sur le mur.

Tout aussitôt un jet de vapeur humide etblanche sortit de ce mur comme une douche.

Et soudain aussi, Marmouset reconnut ce parfumbizarre dont les émanations avaient déjà troublé sa raison.

La Belle Jardinière pressa un autre ressort.La vapeur blanche s’arrêta.

– Choisis, répéta-t-elle.

– Je veux savoir ! dit-il.

– Et mourir ?

– Soit.

– Eh bien ! dit-elle, tu sauras…

Elle frappa dans ses mains trois fois, et à cesignal deux hommes entrèrent.

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