Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 3

 

– Mille tonnerres ! sommes-nousdevenus des personnages de féeries qu’on précipite dans untroisième dessous, à la Porte-Saint Martin ? s’écriaM. de Montgeron d’une voix irritée, mais pleine et sonore, cequi était une preuve qu’il n’était pas tombé de bien haut, et que,dans tous les cas, il ne s’était fait aucun mal.

– On te croirait, répondit une voixauprès de lui.

C’était M. Casimir de Noireterre, quiavait fait la même chute et, comme lui, était sain et sauf.

– Tu n’as aucun mal ? demandaMontgeron.

– Aucun. Et vous ?

– Moi non plus.

– Mais où sommes-nous ?

En tombant, Montgeron n’avait pas lâché sonpoignard.

– Je ne sais pas où nous sommes,répondit-il, mais je le saurai bientôt.

En même temps, il fouilla dans ses poches eten retira sa boîte de bougies. Le rat de cave était resté dans lecorridor.

– Tu feras bien de ne pas bouger, dit-ilà Casimir de Noireterre, jusqu’à ce que nous y voyions clair.

Et il enflamma une bougie.

Alors, Montgeron et son compagnon s’aperçurentqu’ils étaient dans une espèce de serre, ou plutôt de jardind’hiver encombré de vases et de caisses de fleurs.

L’allumette s’éteignit, maisM. de Montgeron avait eu le temps de s’orienter.

Il avait aperçu dans un coin de la serre unecheminée et sur cette cheminée un flambeau.

Une deuxième allumette prit feu, et Montgeron,marchant vers la cheminée, s’emparât du flambeau.

Le flambeau contenait un reste de bougie quipouvait durer environ trois quarts d’heure.

C’était plus qu’il n’en fallait pour se rendreun compte exact de la situation du lieu où se trouvaient les deuxjeunes gens et chercher le moyen d’en sortir.

Montgeron regarda son compagnon :

– Tu n’es pas blessé, au moins ? luidit-il.

– Non, et vous ?

– Moi, pas davantage. Maintenant, voyonsoù nous sommes ?

Et il replaça le flambeau allumé sur lacheminée.

C’était bien une espèce de jardin d’hiver danslequel ils se trouvaient.

Les fleurs les plus rares, les plantes lesplus exotiques remplissaient de vastes jardinières rangées le longdes murs.

En levant les yeux, Montgeron comprit commentils avaient été précipités de l’étage supérieur.

Le plafond était garni de solives, et une deces solives devait être à charnière et faire bascule, entraînantavec elle, dans son mouvement, une partie du plancher.

La serre avait une croisée, unique, garnie àl’intérieur de volets épais et solidement fermés.

Montgeron donna le flambeau à Casimir en luidisant :

– Éclaire-moi.

Puis il s’approcha de la croisée et essayad’ouvrir l’un des volets.

Le volet était fermé par un ressortinvisible.

Montgeron le chercha et ne put le trouver.

Il introduisit son poignard dans une fente etessaya de soulever le volet.

Mais le poignard se tordit et le voletrésista.

– Une lime ferait mieux notre affaire,dit M. de Noireterre.

– Je me suis trompé à la couleur, repritMontgeron. Ce volet peint en gris n’est pas en bois, mais enfer.

Et il frappa dessus avec le manche dupoignard. Un bruit sonore et métallique lui répondit. Montgeronhésita, un moment.

– Bah ! dit-il, il sera toujourstemps de revenir au volet.

Essayons de sortir par où nous sommesvenus.

Il y avait une table dans un coin.

Montgeron la porta au milieu de la serre,juste au-dessous de cette solive qui lui paraissait être àcharnière.

Puis il monta dessus, et ses mains purentatteindre le plafond.

La solive, en effet, était brisée et garnieaux deux brisures d’une serrure de cuivre.

Mais un rapide examen prouva bien vite àM. de Montgeron que, si la trappe qui avait manqué sousses pieds, tournait de haut en bas, le ressort qui la faisaitmouvoir se trouvait à l’étage supérieur, et que, malgré tous sesefforts, il ne pouvait le faire jouer.

– Il faut revenir au volet, murmura-t-il,et tacher de desceller un de ses gonds.

– Mais, dit Casimir, qui tenait toujoursle flambeau, le volet ouvert, que ferons-nous ?

– Nous briserons les vitres.

– Bon !

– Et nous sauterons ensuite par lafenêtre.

– Mais nous ne fuirons pas,j’imagine.

– Oh ! fit Montgeron avec unsourire, avant de nous en aller, je te prie de croire que nousaurons raison de cette maison machinée comme un théâtre et de seshabitants mystérieux.

Et, reprenant son poignard,M. de Montgeron s’escrima de nouveau contre le volet. Lepoignard s’ébrécha et le volet résista.

– Suis-je bête ! dit Montgeron toutà coup.

– Plaît-il ? fitM. de Noireterre.

– Ne parlais-tu pas d’une lime, tout àl’heure ?

– Oui. Cela vaudrait bien mieux. Nouscouperions un des gonds. Mais hélas ! nous n’avons pas delime.

– Tu te trompes.

– Vous en avez une.

– J’ai le grand ressort de ma montre.

Et Montgeron tira de son gousset un superbechronomètre qu’il ouvrit et disloqua impitoyablement, pour en avoirle ressort.

– À l’œuvre maintenant, dit-il.

Et il se mit à entamer le gond du volet.

– Montgeron ? fit Casimir d’un toninterrogateur. Nous n’avons plus de bougie que pour unedemi-heure.

– Eh bien ! Éteins-la. Je n’ai pasbesoin d’y voir pour limer le gond. Quand il sera détaché, nousrallumerons le flambeau.

Casimir souffla la bougie etM. de Montgeron se mit à limer avec ardeur.

Mais, au bout de quelques instants, Casimirdit encore :

– Monseigneur, est-ce que vous n’avez pasla tête lourde ?

– Moi non.

– C’est bizarre ; il me semble quej’ai une montagne sur la tête.

– Peut-être est-ce l’odeur des fleurs quite monte au cerveau.

– C’est possible.

Et Casimir s’assit sur une jardinière dont ilmassacra le contenu. Montgeron limait avec fureur.

Tout à coup il éprouva, lui aussi, unecertaine lourdeur.

– Tu as raison, Casimir, dit-il, lesexhalaisons de ces fleurs nous montent à la tête.

– Il me semble que tout tourne autour demoi, bien que nous soyons dans l’obscurité, répondit M. deNoireterre d’une voix étouffée.

M. de Montgeron continuait à scierle gond du volet ; mais ses mouvements devenaient plus lentset le malaise augmentait.

– Casimir, dit-il, allume donc leflambeau. Tiens, voici des allumettes.

Casimir ne répondit pas.

Alors M. de Montgeron eut peur.

Il enflamma une des bougies, et à cette lueuril vit M. de Noireterre renversé sans connaissance sur lajardinière.

Rallumer le flambeau fut l’affaire d’uninstant.

Puis, secouant autant qu’il lui était possiblela torpeur qui s’était emparée de lui, il prit le jeune homme dansses bras et essaya de le ranimer.

Efforts inutiles !

Casimir de Noireterre était à demi asphyxié etne donnait plus signe de vie.

Montgeron eut un accès de rage.

– Oh ! de l’air ! del’air ! dit-il.

Et laissant le flambeau allumé et reprenant leressort de montre, il se mit à attaquer de nouveau le gond duvolet.

La besogne avançait.

Déjà le gond ne tenait plus que par une minceépaisseur.

Encore quelques coups de lime et il seséparerait en deux et le volet serait arraché et brisant une vitred’un coup de poing, M. de Montgeron ouvrirait un passageà l’air du dehors.

Mais il n’en eut pas le temps.

La lime s’échappa de sa main, et il tombalourdement sur le parquet en poussant un cri étouffé.

Quelques secondes après ses yeux étaientfermés, et il était aussi immobile que Casimir de Noireterre.

**

*

Alors une porte masquée dans le mur, et queMontgeron n’avait pas aperçue, s’ouvrit.

Un homme et une femme entrèrent.

La femme avait un masque sur le visage.

Mais M. Gustave Marion, s’il eût été là,aurait sans doute reconnu, au travers de ce masque, l’ardent regardde la Belle Jardinière.

L’homme n’était autre que ce domestiquerencontré une heure auparavant dans le jardin par Montgeron et soncompagnon.

– Madame, dit ce dernier, si nous leslaissions là… ils ne se réveilleraient jamais.

– Non, dit-elle, j’ai fait serment de neverser le sang qu’à la dernière extrémité. La voiture est-elleprête ?

– Elle attend à la grille depuis un quartd’heure.

– Eh bien ! appelle tes deux aideset enlevez-moi ces jeunes fous.

Vous les laisserez dans quelque rue déserte deParis et le grand air fera le reste.

– Mais, madame, tout cela finira mal, sivous n’y prenez garde !

Elle haussa les épaules :

– Obéis, dit-elle d’un ton impérieux.

Et le domestique, courbant la tête, chargeaMontgeron surses épaules et l’emporta.

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