La Fille du Juif-Errant

Chapitre 36EN ALLEMAGNE

La neige fouettait, poussée par le vent dunord-ouest. Les arbres énormes, étendant leurs longs brasdépouillés, souriaient d’un côté, blancs de neige, et refrognaientde l’autre leurs troncs plus noirs par le contraste.

C’était le matin d’une journée de janvier. Lesbûcherons allaient déjà par les routes, vierges de toute trace etcouvertes d’une nappe éblouissante, frappant derrière leur dosleurs mains engourdies, et cachant dans leur giron le bout de leurnez rougi.

On entendait sous bois la trompe du baron dePfifferlackentrontonstein, ancien conseiller privé de l’ancienprince souverain deRudelsigmarienthal-Tartempoeffen-Topinambourg-Lapinstadt, qui avaitvendu récemment ses vastes États au roi de Prusse pour un bureau detabac. À quoi tient le sort des peuples !

Il faisait un froid de loup. Le baron étaitd’une humeur massacrante, tant pour avoir perdu sa place que pouravoir pris le change sur la piste d’un vieux daim, beaucoup plusmalin que lui. Il battait son cheval qui n’en pouvait mais,injuriait ses chiens que la neige aveuglait et qui n’avaient plusde flair, enrhumés qu’ils étaient tous du cerveau ; il disaitdes choses pénibles à Fritz, son piqueur, et méditait de querellerau retour son épouse très-honorée, la baronneWilhelmine-Concordia-Charlotte-Françoise-Pétronille-Angélique-Uraniede Pfifferlackentrontonstein, née palatine de Choumakre, avecquatorzième de voix à la diète mineure de Srzghw.

Ah çà ! nous ne sommes donc plus à Toursen Touraine ? Non. Nous avons traversé la France tout entièreet passé le Rhin. Nous voyageons en Allemagne. Nous parcourons lafameuse forêt Hercinienne : Le Harz, si mieux vous aimez luidonner le nom de la géographie et des charbonniers.

Nous allons, par cette matinée pâle, sous lessapins géants qui virent passer tant de fantômes. Ceux-là saventque les morts vont vite. Cette neige est le linceul de l’éternelleballade. Ce vent roule des soupirs de spectres. C’est la gaietégermaine : hourra !

Hourra ! cela sent le cimetière. Voilà dela vraie poésie ! Ces Huns sont de joyeux compagnons.Hourra ! suaires, cercueils, ossements, crânes desséchés,tombeaux qui s’ouvrent ! Les Allemands s’amusent :hourra ! hourra ! La patrie prussienne pourtoujours !

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