La Fille du Juif-Errant

Chapitre 45LA CHUTE

Le 26 juillet 1830, au soir, dans la modestechambre du troisième étage, rue de l’Ouest, la comtesse Louise, lebon abbé Romorantin, Joli-Cœur et Fanchon Honoré se trouvaientréunis. Cela n’était pas arrivé depuis longtemps.

La fenêtre donnait sur le jardin duLuxembourg, plein de promeneurs. Il faisait chaud. Le soleil secouchait dans un orage lointain.

Dans le jardin il y avait un mouvementinaccoutumé. La rue, d’ordinaire si tranquille, rendait cesmystérieux et menaçants échos que nulle parole ne peut noter, maisqu’on n’oublie jamais quand une fois on les a entendus.

Il y a comme cela deux voix funestes quis’obstinent dans le souvenir : la voix de la tempête et lavoix de la révolution.

Dans la chambre de la comtesse Louise, laconsternation était peinte sur tous les visages, et pourtant on neparlait point des menaces de la rue.

On parlait du colonel comte de Savray.

Louise avait la tête penchée sur sa main, etpleurait, disant :

– Est-il possible de tomber si bas quecela !

Elle se rappelait, pauvre femme, onze annéesde noble et riant bonheur ! Son fils Paul avait dix-huit ans.Sept années d’un martyre honteux et cruel avaient suivi les tempsheureux.

Elle avait pleuré pour la première fois lanuit de l’incendie. Mais, depuis lors, que de larmes !

Son fils, le cher enfant, était abandonné parson père, ruiné par son père, déshonoré par son père !

Il n’y avait rien d’exagéré dans les nouvellesrapportées par Mme Lancelot.Mme Lancelot, même, ne savait pas tout. Le colonelcomte de Savray était tombé plus bas qu’on ne tombe.

C’était une chute hideuse, incroyable,diabolique. Le comte de Savray avait plongé comme à plaisir au plusprofond du fangeux abîme où grouillent nos misères sociales.

Il était accusé, lui, gentilhomme etmilitaire, de tout ce qui peut dégrader une épée et souiller unécusson.

Il avait falsifié, il avait triché, il avaitvolé, il avait tué !

Joli-Cœur venait annoncer sa fuite etl’invasion des gens de justice dans son logis où ceux qui lecherchaient parlaient tout haut de boulet et de bagne.

Et cette pauvre belle jeune femme qui pleuraitallait disant, comme on répète un refrain de folie :

– Est-il possible d’avoir été si noble etsi bon ! est-il possible d’être si infâme et simisérable !

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