La Fille du Juif-Errant

Chapitre 56LA MAISON DE L’ÉCUYER

La comtesse Louise alla vers cette maison queson fils lui avait indiquée : l’avant-dernière de la rue duCloître-Notre-Dame. C’était une grande habitation, gardant, parmiles bourgeoises demeures qui l’entouraient, un caractère dedomination hautaine. On la nommait la Maison de l’Écuyer, parcequ’elle avait appartenu, sous les trois rois fils de Catherine deMédicis, à noble homme Marie Minot, écuyer, seigneur deBiay-le-Fausse, maître des hallebardiers du chapitre de Paris.

La comtesse Louise s’arrêta devant la portemassive et n’osa point en agiter le marteau.

Elle passa de l’autre côté de la rue pourregarder aux fenêtres, qui étaient toutes closes et munies de leurscontrevents, depuis le haut jusqu’en bas. Un large écriteau pendaitau-dessus de la porte. La comtesse Louise put lire, aux lueurs duréverbère voisin : Matériaux de démolition àvendre.

L’idée vint à la comtesse Louise que son filss’était trompé, car c’était là une maison condamnée et déjàabandonnée par ses habitants.

Elle se rapprocha de la porte et la poussa. Laporte s’ouvrit, car elle n’avait plus de ferrure. La comtesseLouise entra dans une cour spacieuse, où divers débris étaiententassés pêle-mêle. Derrière elle la porte retomba.

Une étrange sensation de froid courut par lesveines de la comtesse, qui regarda tout autour d’elle avec unefrayeur d’enfant. Autour d’elle, il n’y avait que silence etimmobilité.

La cour était entourée d’une sorte de cloître,percé de trois ouvertures haut voûtées. Si la comtesse n’eût écoutéque son effroi, elle se fût retirée bien vite, mais son cœur demère restait au-dessus de toutes les épouvantes.

– Je suis là mon fils, se dit-elle.

Et elle s’engagea sous l’une des trois voûtesau hasard.

C’était celle de droite. La voûte conduisait àun vestibule où se plantait un vaste escalier à marches de pierres.Cet escalier n’avait plus ses rampes, qui étaient en tas dans lacour, avec les autres choses à vendre.

La comtesse monta.

Dès le premier étage elle vit que les fenêtresmanquaient de châssis et que toutes les portes étaient enlevées.Portes et châssis s’amoncelaient dans la cour.

Elle entra dans une première pièce, haute etlarge, sans meubles, puis dans une autre, également nue. Toutes lesouvertures de ces chambres abandonnées livraient passage sur ungrand corridor. La comtesse Louise compta douze chambres ;elle allait, poussée par je ne sais quel mystérieux espoir. Toutesles chambres étaient également désertes.

Après la douzième il n’y avait plus rien,sinon le corridor. Par la fenêtre sans châssis la comtesse vitqu’elle avait fait le tour de la maison.

Elle songeait à descendre, découragée,lorsqu’il lui sembla entendre un bruit léger tout à l’autre bout ducorridor. Dans la nuit, une forme légère se dessina : uneombre d’enfant qui glissa et disparut.

– Lotte appela la comtesse Louise.

L’écho du long corridor répéta ce nom :Lotte !

Puis le silence revint plus sinistre.

Tout à coup, à l’étage supérieur, un pasrégulier et lent comme le bruit produit par le balancier d’unehorloge résonna sur les dalles du corridor.

La comtesse Louise écouta en retenant sonsouffle.

Le bruit allait s’éloignant ets’affaiblissant.

Un homme venait de passer juste au-dessus desa tête.

La comtesse Louise s’élança et montal’escalier sans rampe en courant. Au moment où elle atteignait lecorridor supérieur, le bruit de pas avait cessé, mais elle vitencore au bout, tout au bout, cette forme indécise et blanche.

Elle appela comme la première fois :

– Lotte ! Lotte !

Même écho – et même silence.

La comtesse Louise entra successivement dansdouze chambres vides et nues.

Comme elle sortait de la douzième, le pasd’homme, régulier et lent, passa au-dessus de sa tête. Elle montade toute la vitesse de ses pauvres jambes fatiguées ettremblantes.

Personne dans le troisième corridor !Personne dans les chambres. Seulement, comme elle sortait de ladouzième, la petite ombre glissait dans la galerie, au bout, toutau bout.

– Lotte ! Lotte ma chèreLotte !

L’écho, – puis le silence.

Puis le bruit de pas, régulier et lent, maiscette fois à l’étage inférieur.

La comtesse Louise redescendit. C’était commeun de ces songes épuisants où la fièvre poursuit ce qu’ellen’atteint jamais.

Pendant des heures, la comtesse Louise montaet redescendit, courant après l’impossible.

Elle se sentait brisée par l’épuisement, parla terreur ; le froid gagnait la moelle de ses os, mais elleallait toujours, parce qu’une voix disait au fond de son cœur lenom de son fils bien-aimé.

Les lueurs grises du matin entrèrent par lesfenêtres grandes ouvertes de la cour. L’horloge de l’Hôtel-Dieutinta la troisième heure après minuit.

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