La Fille du Juif-Errant

Chapitre 49LA VISION

La comtesse Louise le contemplait avec cegrand amour des mères, plein d’épouvante et de vaillance.

– On t’a insulté ! répéta-t-elle, etqui donc a osé t’insulter ?

Un rouge vif avait remplacé la pâleur duvicomte Paul.

– Comme je sortais aujourd’hui ducollége, dit-il tandis que sa voix baissait malgré lui,j’entendais, comme toujours, les railleries cruelles de ces troisou quatre méchants qui me poursuivent : le fils du général quicommandait en second à Tours, le fils de l’ancien préfet de Tours,le fils de Mme Lancelot, de Tours. Les autresélèves m’aimaient autrefois : ceux-là ont fait le vide autourde moi comme si j’étais un lépreux. Leur avons-nous causé quelquechagrin, ma mère ?

– Jamais, mon pauvre enfant… mais leursparents nous ont vus si heureux !

– Selon ma coutume, pour échapper à leurssarcasmes, j’entrai à l’église Saint-Étienne du Mont. J’y vaissouvent. J’aime à prier la bonne sainte Geneviève. Je la supplied’envoyer vers nous celui qui deux fois déjà nous a protégés.J’étais agenouillé dans le bas côté de gauche. Je ne priais pas,car j’avais trop de colère dans le cœur. Je voyais les rayons dusoleil couchant filtrer à travers les dentelles du jubé pourinonder d’une lumière dorée le grand crucifix du maître-autel. Lemalheureux homme qui outragea Notre-Seigneur s’est repenti pendantdix-huit siècles, ma mère. Celui qui est le Pardon a dû pardonner.Je me disais : « Sa peine est finie, nous ne le verronsplus… »

Tout à coup, à la lueur des cierges quibrûlent auprès des reliques, j’aperçus une jeune fille agenouillée.Je la regardai sans savoir d’où venait la profonde émotion qui mefaisait battre le cœur. Elle se releva. Je fus ébloui comme àl’aspect d’un ange.

Ô ma mère, qu’elle est belle ! et commeson sourire doit apaiser la colère céleste ! Je m’élançai, carje l’avais reconnue…

– Tu la connaissais donc ? s’écriala comtesse.

– Écoute ! murmura le vicomte Paul,tout à l’heure, je mentais quand je disais : « je necrois plus à ce que je ne comprends pas, » je crois à tout, mamère, et je songe à elle bien souvent…

– Elle !… de quiparles-tu ?

– Je parle, répondis le vicomte Paul, jeparle… faut il donc te dire son nom ? Peut-être que tu ne lesais plus, mais moi, je n’ai jamais oublié le suave et pâle visagede celle qui partageait les jeux de mon enfance…

– Lotte ! interrompit Louise enproie à un trouble soudain. La fille du…

Elle s’arrêta, mais le vicomte Paulacheva :

– La fille du Juif errant. Je l’ai revue,ma mère !

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