La Fille du Juif-Errant

Chapitre 72LE BLESSÉ

Les bruits de la guerre civile allaients’apaisant.

Peu à peu le silence se fit dans la villefatiguée de meurtres, tandis que la nuit, abaissant ses voiles,enveloppait la vaste scène de carnage.

Isaac Laquedem dormait. Sa respiration étaitégale et douce comme celle d’un enfant. Pénitence vaut presqueinnocence.

À son chevet, dans l’ombre qui allaits’épaississant, on eût pu voir une pâle forme de jeune fille qui sepenchait sur lui en souriant, et veillait. Innocence protégepénitence.

Vers huit heures du soir, aux fracas lointainsde la bataille, succéda un autre tapage. Les hôtes de la Maison desJuifs étaient rentrés au bercail, et l’orgie commençait chezMme Putiphar.

Isaac ouvrit à demi les yeux, écouta, seretourna et se rendormit, murmurant :

– J’ai encore trois heures.

– Moi, je prie, dit l’ombre blanche.

Comme onze heures de nuit sonnaient àl’horloge du Palais-Royal, des pas lourds montèrent l’escalier.L’ombre éveilla l’Homme dans un baiser et disparut. Au moment où laclef tournait dans la serrure, Isaac était déjà debout et cachéderrière les rideaux.

Deux hommes entrèrent, portant un blessé quifut déposé sur le lit.

Puis vinrent le faux comte de Savray etHérodiade, sa gouvernante.

Puis le docteur Lunat, les yeux bandés ettremblant de tout son corps, fut introduit.

On mit un mouchoir sur le visage dublessé ; on ôta le bandeau du médecin et le faux comtedit :

– Docteur, il ne faut pas juger les gensà la mine. Votre visite vous sera payée dix Louis. Examinez-moi cegaillard-là et dites-moi s’il vivra.

À part certains côtés du cerveau qu’il avaitétoilés, comme vous et moi, le docteur Lunat était un savantmédecin. Il examina et palpa selon l’art le blessé évanoui.

– Il vivra ! prononça-t-il. Jeréponds de lui !

Ozer, le faux comte, lui tendit cinq doublesnapoléons.

Le docteur Lunat les prit et dit en pointantl’image du Juif errant collée à la muraille :

– C’est un exemplaire du tirage de 1790.Je vous en offre deux cents francs. L’abbé Romorantin cherche cetteépreuve depuis vingt ans…

Le comte détacha la sale estampe, la lui donnaet le mit à la porte.

– Voilà un drôle de fou ! pensa ledocteur emportant son exemplaire de 1790.

Ozer fit monter un bol de punch et s’assitdevant la table avec Hérodiade.

– Nous avons trois quarts d’heure devantnous, dit-il, je ne peux faire l’opération qu’à minuit sonnant.Causons.

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