La Fille du Juif-Errant

Chapitre 53AUX ÉCOUTES

Après le repas du soir, le vicomte Paul donnaun baiser à sa mère, un baiser encore plus tendre qu’à l’ordinaire,et lui souhaita la bonne nuit. La comtesse, triste, mais calme, enapparence, se retira dans son appartement.

En la quittant, le vicomte Paul sedisait :

– Pauvre mère ! Elle ne saitpas !

Il se trompait : les mères saventtout.

Dans la chambre du vicomte Paul, Joli-Cœur,l’ancien hussard, attendait.

Paul lui dit en entrant :

– Vieux, sais-tu où te procurer une pairede pistolets de combat et deux bonnes épées ?

Joli-Cœur le regarda tout ébahi.

– Je me bats demain, reprit le vicomtePaul qui essaya de sourire.

En ce moment, des pieds nus marchaient sansbruit dans le corridor, et la comtesse Louise, toute frissonnante,collait son oreille à la serrure.

– Avec qui vous battez-vous ?demanda Joli-Cœur.

– Avec Roger, le fils du maréchal-de-campde Tours.

– Ah ! fit le vieux hussard, safemme avait bien peur dans le temps que M. le comte ne devintgénéral ! Ça n’est pas du bon monde, quoique militaires.

Il ajouta :

– Et pourquoi vous battez-vous avec lejeune M. Roger ?

– Parce qu’il a insulté ma mère.

La comtesse Louise fut obligée de s’appuyer aumur du corridor. Ses jambes se dérobaient sous elle.

– C’est une raison, ça, dit Joli-Cœur. Etoù vous battez-vous ?

– Derrière le cimetière Montparnasse.

– Je connais l’endroit. Il est bon.

Les deux mains de la comtesse étreignirent sonpauvre cœur.

– Avez-vous des témoins ? interrogeaencore Joli-Cœur.

– Non, répondit le vicomte Paul. Tuamèneras un de tes camarades, ça fera deux.

– Refuse, malheureux, refuse !pensait la comtesse Louise. C’est ton devoir ! sauve le filsde ton maître.

Mais Joli-Cœur n’était qu’un soldat. Ildit :

– C’est juste avec moi, ça fait deux.

Alors la comtesse Louise se sentit dans lecœur une angoisse sans nom. Elle n’avait plus rien en ce monde quece trésor idolâtré, son fils, son Paul, son âme !

Et voilà qu’elle était menacée de cettesuprême agonie : perdre son fils unique ! Elle vit celong mur grisâtre long et haut : le mur du cimetière. Elle vitla campagne lugubre à cette heure qui précède le lever du soleil.Elle vit la lueur sinistre des épées. Des hommes froids,chargeaient les pistolets, mesuraient les pas et frappaient troiscoups dans leurs mains de pierre. La poudre éclatait.

Il y avait un cri.

Et une pauvre jeune voix appelait : Mamère !…

Puis un brancard avec un corps qui relevaitune toile, collée à ses contours.

Sous la toile, un enfant avec une tache rougeau-dessous du sein. Elle vit cela.

Elle se laissa glisser à deux genoux, baisantla terre mouillée de ses larmes et balbutiant :

– Mon Dieu ! mon Dieu ! monDieu ! ayez pitié !

Le vicomte Paul disait à Joli-Cœur au mêmemoment :

– Voilà qui est réglé, tu viendrasm’éveiller demain matin à quatre heures, et nous irons.

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