La Fille du Juif-Errant

Chapitre 46DÉTAILS RÉTROSPECTIFS

– Non, ce n’est pas possible, répondaitle cœur révolté de la comtesse Louise.

Et il y avait ici, en effet, quelque chosed’inexplicable au point de vue purement humain. Toutes lespersonnes réunies dans la chambre de la comtesse Louise disaientcomme elle au fond de leur cœur :

– Non, ce n’est pas possible !

Le fait était certain, mais on n’y croyaitpas.

La nourrice, le prêtre, le soldat, de même quela femme en deuil repoussaient l’évidence, cherchant à cetteinsoluble énigme une clé surnaturelle.

– Ce changement se fit en un jour, repritla comtesse traduisant comme elle le pouvait le vague de sarêverie ; en une heure, en une minute ! En me quittant,lorsque nous arrivâmes au bas de la côte, la nuit de l’incendie,mon Roland était bien lui-même. Quand il revint s’asseoir auprès demoi, après avoir affronté le feu, j’eus froid jusque dans l’âme. Ledanger que notre bien-aimé Paul avait couru lui était indifférent.Cet horrible spectacle de l’incendie qui me brûlait encore les yeuxet le cœur le laissait froid. Quand je lui parlai du miracle quiavait sauvé notre fils, il haussa les épaules, chantonnant je nesais quoi. Il ne regarda même pas l’enfant que je serrais contre mapoitrine, l’enfant que nous avions manqué de perdre !… Etcomment dire cela ? Sa voix était bien la voix que jeconnaissais, mais, dans le premier moment surtout, il y avait làquelque chose de l’accent anglais de sir Arthur…

– Sir Arthur lui-même, interrompit le bonabbé Romorantin en secouant la tête, avait été longtemps un forthonnête gentilhomme. Je connais son histoire. C’était un habitué dela Comédie française. Un soir, il s’absenta pendant le spectacle,puis il revint… ou plutôt un autre sir Arthur revint occuper sastalle… cet autre sir Arthur était ce que vous l’avez vu :un débauché, un ivrogne, un brigand !

– Et alors, quel est le mot de cesénigmes ? murmura Louise.

L’abbé, Fanchon et Joli-Cœur demeurèrentsilencieux.

Louise reprit :

– Cette nuit-là, cette funeste nuit, ilne pensait qu’à boire, à manger, à dormir. Dans la chambred’hôtellerie ou nous nous réfugiâmes, puisque notre maison étaitbrûlée, il se fit servir à souper. Par moments il parlait de chosesqui m’étaient inconnues. Il se targuait d’aventures honteuses,d’autres fois, il blasphémait si horriblement que mon sang seglaçait dans mes veines.

L’abbé et Fanchon se signèrent, Joli-Cœurrongeait sa moustache.

De la rue et du jardin les bruits montaienttoujours : la sourde et prophétique voix qui annonce lesorages populaires.

– Peut-être qu’à l’heure où nous voici,dit brusquement Joli-Cœur, il est déjà dans le corps de quelqueautre honnête homme, dont il a fait un coquin.

– Alors, murmura la comtesse Louise dontla belle tête se pencha sur sa poitrine, vous croyez donc que j’aibien fait de prendre le deuil des veuves ? Vous croyez doncque mon pauvre mari est mort ?

Dans le silence qui suivit on entendit un pasmonter l’escalier. Un beau jeune homme entra, triste et pâle, quidit froidement, sans sourire :

– Bonsoir, ma mère.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer