La Fille du Juif-Errant

Chapitre 39LA MINE D’ANDREASBERG

C’est une immense ville souterraine qui a desmilliers de rues, des places publiques, des églises, des palais,des canaux, des lacs, des boutiques, des théâtres, des hôpitaux etdes salles de bal.

On pourrait rebâtir Berlin en argent avectoutes les richesses qui sont sorties de cette inépuisablemine.

Dans la banlieue de cette féerique cité, àneuf cents mètres au-dessous du sol, deux hommes piquaient leminerai, auprès d’une flaque d’eau sombre comme l’Achéron.

Leurs lanternes brûlaient tristement à leurspieds. Tous deux s’arrêtèrent pour essuyer la sueur de leursfronts.

– Ami, dit l’un d’eux, causons encore dece rêve que nous faisons tous les deux.

– Soit, répondit l’autre, ce rêve guéritma fatigue. Il me semble que ce rêve me rend le parfum des fleurs,l’air libre et les doux rayons du soleil.

Ils s’assirent côte à côte, et le premierreprit :

– Je m’appelais donc sir Arthur…

– Certes, interrompit l’autre, j’ai gagnébien des louis à un gentilhomme de ce nom, mais ce n’est pasvous !

– Vous avez peut-être raison, ami, cen’est pas moi ; du moins il y a des moments où je ne sauraisl’affirmer moi-même… on m’a pris mon corps, voilà ce que je crois,et n’est-ce pas folie de croire ainsi à l’impossible ?

Son compagnon secoua lentement la tête.

– Moi dit-il, j’étais comte… et colonel.J’avais une femme que j’aimais, un enfant adoré… Il faut bien quecela soit, puisque leur souvenir emplit mes yeux delarmes !

– Et l’on vous a pris votre corps aussi,n’est-ce pas ? interrogea sir Arthur.

– Oui, une nuit, mon châteaubrûlait ; cet homme… mais c’était lui qui s’appelait sirArthur !

L’autre mineur songeait laborieusement, latête penchée sur sa poitrine.

– Alors, dit-il, c’est le même qui nous apris nos deux corps !

Ils échangèrent des regards sans rayon.Quelque chose pesait sur leurs intelligences engourdies.

– Allons, dit la grosse voix d’ungardien, voilà encore ces deux fous qui se reposent ! Àl’ouvrage coquins ! vous ne gagnez pas le pain que vousmangez !

Les deux pauvres mineurs reprirent leurs picsdocilement et se remirent à l’ouvrage.

Derrière le gardien, une belle jeune fillevenait, vêtue comme une demoiselle de riche maison.

Le gardien se tourna vers elle et luidit :

– Voyez-vous, mademoiselle, il faut sanscesse surveiller ces deux-là. Ils ont un coup de marteau, sauf lerespect que je vous dois. En voici un qui se croit baronnetd’Angleterre, c’est sir Arthur… En a-t-il bien l’air,hein ?

La jeune fille approchait. Le regard de sesbeaux yeux tomba sur le second mineur qui tressaillit.

– Celui-la, reprit l’inspecteur enhaussant les épaules, c’est un colonel, français, un colonel dehussards…

– Le colonel comte Roland deSavray !… murmura la belle jeune fille.

L’inspecteur éclata de rire et poussa rudementle pauvre homme, dont le pic attaqua un bloc de minerai.

Mais en travaillant le pauvre homme sedisait :

– Lotte ! J’ai vu Lotte ! Sousle nuage qui est dans mon esprit y a-t-il donc la vérité ?

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