La Fille du Juif-Errant

Chapitre 19UN COIN DE PRÉFECTURE

On dansait en effet à la préfecture.

Ces préfectures sont des Louvres en raccourci,des diminutifs de Tuileries. J’ai connu un préfet qui disait :Mon gouvernement.

Mme la préfète, une bonnegrosse petite reine, ronde et rouge comme un bouton de pivoine,faisait des heureux parmi les employés en distribuant ses sourires.C’est un noble pays que ce jardin de la France. Ces salons étaientpleins de belles jeunes filles et de jeunes femmescharmantes ; mais, entre toutes les admirées, la comtesseLouise brillait au premier rang.

Celle-là était véritablement reine parl’esprit, la bonté, la beauté.

La comtesse Louise dansait.

Celles qui ne dansent pas sont soupçonnées dejalouser celles qui dansent.

Surtout celles qui ne dansent plus.

J’en sais pourtant qui regardent avec unsourire maternel ces joies étourdies de la jeunesse ; j’ensais, et beaucoup, qui sont restées belles sous leurs cheveuxblancs à force de bienveillance et de miséricorde.

Certes, il y en avait là de ces chères femmes,spectatrices clémentes du plaisir qu’elles ne regrettentpoint ; de ces femmes exquises qui ne vieillissent jamais, dumoins dans leur cœur, et qui trouvent une éternelle jeunesse dansle trésor de leur piété charitable.

Mais il faut de la variété dans un parterre etquelques soucis au milieu des roses. Il y avait aussi de bravesdames qui, n’ayant point de charité à revendre, épiloguaient etmédisaient abondamment.

De braves messieurs faisaient la partie de cesbraves dames.

Dans un coin du salon, où l’intendancemilitaire, le tribunal de première instance, l’état-major, lesdomaines, l’enregistrement, les contributions directes et mêmel’académie universitaire étaient avantageusement représentés, ontuait le temps comme on pouvait.

Le colonel comte Roland de Savray et lacomtesse Louise étaient sur le tapis.

On parlait bas. On mordait fort.

– Mon Dieu, disait la dame des domaines,elle est jolie, si on veut…

– Moi qui connais mes pauvres, fitobserver Mgr l’archevêque en passant, je sais bien pourquoi elle aun regard d’ange !

Ici-bas, toute grandeur se paie. Nos seigneursles évêques sont condamnés de temps en temps aux galas de lapréfecture.

Mais monseigneur n’était pas de ce bongroupe-là. Il continua sa route.

– Quand on a deux cent mille livres derentes, fit en ricanant la sous-intendante militaire on peut biendonner quelques louis aux malheureux, dites donc !

Jamais vous n’avez vu de si beau turban quecelui de cette fournisseuse. Elle ressemblait à Roustan, le mamelukde l’empereur. Seulement, sa physionomie était plus mâle.

– Le colonel ne danse pas, ditM. Lamadou, commandant de la gendarmerie.

– Il fait danser la dame de pique !riposta le procureur général.

– Joueur comme les cartes !appuyèrent plusieurs voix.

Ces Savray étaient trop beaux, trop nobles,trop riches, trop heureux. On ne les aimait pas dans le boncoin.

– Bah ! fit Mme lasous-intendante, s’il perd la dot de sa femme, il y a les cinq sousdu Juif-Errant !

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