La Fille du Juif-Errant

Chapitre 80LE FEU GRISOU

Le comte et lui piquaient tous deux leminerai, tristes, silencieux, courbés par la fatigue, découragés,auprès d’une flaque d’eau plus noire que l’Érèbe. Leurs lanternesfumaient à leurs pieds. À un moment, ils s’arrêtèrent et seregardèrent. Des larmes brûlantes étaient dans leurs yeux.

– Je ne peux plus ! dit le comte quijeta son pic.

Sir Arthur fit de même et ajouta :

– J’aime mieux mourir !

Ils s’assirent à côté l’un de l’autre sur lesol humide, les mains croisées, le regard vague.

– Vous souvenez-vous encore, demanda sirArthur, de ce que vous étiez autrefois ?

– Je ne sais, répondit le père du vicomtePaul avec fatigue. Je cherche… il me semble… mais non… j’ai toutoublié !

Ils mirent entre leurs mains qui tremblaientleurs têtes stupides.

– Allons, fainéants ! cria la grossevoix du gardien.

Mais ils ne se relevèrent point.

Il y eut des menaces et des claquements defouet. Ils demeurèrent immobiles.

En ce moment, des voix lointaines, des voixlugubres envoyèrent des cris inarticulés d’abord, qui allèrent sedessinant, puis disant :

– Éteignez les lampes ! le feugrisou !

Un flot de gardiens accourait. Les mineursquittaient leurs travaux, les lumières s’éteignaient de proche enproche, le long des perspectives souterraines.

Une vapeur grise, semblable à une gaze,montait des profondeurs de la mine.

Et au delà de cette vapeur on voyait un hommede haute stature, qui marchait appuyé sur son bâton. À ses côtés,un enfant glissait dans le noir.

– Éteignez les lampes ! lefeu ! le feu grisou !

Dans ces villes enfouies, il n’y a pointd’ordre qui soit si vite exécuté.

Une lanterne allumée, en effet, quand marche àhauteur d’homme cette vapeur grisâtre qui s’étend comme un voilefloconneux, c’est la mort.

Toutes les lueurs s’éteignirent, les unesaprès les autres.

Toutes, à l’exception de deux, qui brillaientdans les lanternes du père du vicomte Paul et de sir Arthur.

Les gardiens se précipitèrent. L’homme à lahaute stature arrivait. – Mais avant eux arrivait la vapeurgrise.

La vapeur toucha une des lanternes. Uneexplosion sèche et déchirante eut lieu, qui s’enfla en sollicitantles échos et prolongea son redoutable fracas dans le lointain desgaleries. Il y eut un grand cri, suivi par un silence plusgrand.

Tous ceux qui naguère étaient debout gisaientsur le sol, immobiles – et morts.

Seul, l’étranger à la haute taille restaitdroit sur ses jambes, avec sa fillette qui le tenait par lamain.

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