La Fille du Juif-Errant

Chapitre 42LES LITANIES DU COLONEL

Les autres convives de la préfecture avaientgénéralement prospéré. M. Le préfet se carrait au conseild’État, le procureur général s’asseyait à la cour de cassation,Mme Lancelot, des domaines, et M. Lancelot,son mari, avaient une division au ministère des finances. Quelquesdanseurs étaient devenus des hommes chauves et sérieux, quelquesdanseuses avaient gagné en poids cent pour cent et même davantage.La sous-intendante n’avait rien perdu.

On était au mois de juillet en l’année 1830.Le général Lamadou (l’ancien commandant de la gendarmerie à Toursen Touraine) ayant donné une grande soirée à l’occasion du mariagede sa nièce avec M. Galapian, toutes nos anciennesconnaissances tourangelles se trouvèrent naturellement réunies.

Mais parlons un peu de M. Galapian.

M. Galapian, nous l’avons dit, était unhomme habile et bien comptant. Il ne méprisait plus autant le bonDieu, depuis qu’il avait arrondi sa pelote, au point de justifierau contrat soixante mille francs de revenus. Personne, disait-ilvolontiers, n’avait jamais soupçonné sa probité. Je croisbien ! Il eût fallu débrouiller pour cela les affaires de lamaison de Savray, et il y avait mis bon ordre ! Il faisaitbeaucoup de bien aux pauvres en leur prêtant son argent à la petitesemaine.

Mme Lancelot le citait à sessurnuméraires comme un exemple de ce que peut la comptabilitéjointe à l’esprit de conduite.

– Savez-vous ce qu’on dit ?s’écria-t-elle en entrant ce soir-là. Votre servante, mesdames.Bien des compliments aux mariés. Voilà qui fera un charmantménage ! Savez-vous ce qu’on dit ?

À Paris, comme à Tours,Mme Lancelot était fort estimée comme gazette.

Depuis lors, l’agence Havas et les petitsjournaux ont déprécié ce genre de talent.

On fit le cercle autour deMme Lancelot, qui reprit :

– Les affaires ne vont pas bien, lecommerce murmure, la bourgeoisie n’est pas contente. Nous dansonssur un volcan !

– Permettez, madame et amie, interrompitle général Lamadou. Je ne souffrirai pas qu’on fasse del’opposition dans le salon de mon propre domicile.

Galapian dit :

– Je suis un homme d’ordre, mais à labourse d’aujourd’hui j’ai vendu, vendu, vendu ! Je rachèteraià moitié prix le lendemain de la révolution, voilà ma façon depenser.

Il y eut un murmure flatteur, et les damesdirent à l’oreille de la nièce du général :

– Léocadie, c’est une belle âme, et vousserez bien heureuse !

– Savez-vous ce qu’on colporte ?reprit impétueusement Mme Lancelot. Il s’agit biende politique ! quoi ! ce n’est pas inquiétant lapolitique. Il faudra toujours bien des chefs de division, n’est-cepas ? Je voulais vous parler d’un garçon… Le pauvrediable ! nous l’avons connu bien huppé. Vous souvenez-vous,là-bas, à Tours, comme on criait du haut du perron, à lapréfecture : La voiture du colonel comte de Savray !

– Ah ! oui, fit la sous-intendantedu bout des lèvres, ce malheureux homme…

– Pas de sérieux ! dit l’ancien chefdu parquet tourangeau.

– Un hanneton ! murmura Galapian. Jel’avais prédit !

– Et vous avez bien fait ce que vous avezpu pour le sauver, Stanislas ! murmura la jeune Léocadie.

M. Galapian s’appelait Stanislas.

Il y eut des toux sèches qui voulaientexprimer sans doute une chaude approbation, puis le chapelets’égrena :

– Un buveur ! déclara Lancelot.

– Un joueur !

– Un bretteur !

– Un mauvais sujet !

– Un monstre !

Cette litanie était en l’honneur du pauvrecomte Roland de Savray.

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