La Fille du Juif-Errant

Chapitre 1LA MAISON DU VICOMTE PAUL

On n’avait pu emmener Paul au grand dîner dela préfecture, quoiqu’il fût vicomte et très-certainement le plusimportant personnage de la maison. Il n’était invité ni au granddîner ni au grand bal qui devait suivre le grand dîner. Voilà lavérité : Paul n’appartenait pas encore à cette catégorie devieux bambins qui dînent et qui dansent à la préfecture.

Il allait prendre ses onze ans, le vicomtePaul ; c’était un magnifique gamin, rieur et fier, qui vousregardait bien en face avec ses longs yeux d’un bleu profond pleinsde tapages et de caresses. Il était grand pour son âge, élancé,gracieux, il montait supérieurement son cheval : Little-Grey,le plus joli poney de la Touraine. Son précepteur, l’abbéRomorantin, lui avait appris l’orthographe, mais pas beaucoup, etJoli-Cœur, le vieux hussard, lui montrait à tirer l’épée. Paulparlait déjà de tuer tous les Anglais de l’Angleterre ;cependant les Anglais ne lui avaient rien fait encore : il neconnaissait pas sir Arthur !

Quel sir Arthur ?

Patience ! Paul voulait tuer tous lesAnglais, parce qu’il était Français. Joli-Cœur admettait lasolidité de cet argument. Joli-Cœur, lui, détestait les Anglais,parce que ce sont des Angliches, parlant très-mal lefrançais et nés en Angleterre.

M. Galapian, homme d’affaires du colonelcomte de Savray, le père du vicomte Paul, méprisait les opinionspolitiques de Joli-Cœur. Il disait que l’Angleterre est à la têtedes nations, et qu’elle offre au monde, c’était sa phrase,« le beau spectacle d’un peuple libre ! »

Cette phrase est remarquable et traîne danstous les journaux qui tirent à 400,000 exemplaires.

Et pour qu’un journal se tire à 400,000exemplaires, il lui faut de ces remarquables phrases-là.

Mais le vicomte Paul répondait à cettephrase : « Tais-toi, monsieur l’Addition. Les Anglaismettent leurs pauvres en prison et donnent le fouet à leurssoldats ! »

Vous jugez bien qu’il y avait du Joli-Cœurlà-dessous !

Le vicomte Paul appelait Galapian monsieurl’Addition, parce que cet homme d’affaires, vendu aux Anglais,essayait vainement de lui apprendre l’arithmétique deM. Bezout, approuvée par l’Université.

Madame Honoré, ou plus simplement Fanchon,bonne personne du pays de Lamballe, en Bretagne, faisait aussipartie de la maison du vicomte Paul, en qualité de nourrice.C’était un simple titre. Louise de Louvigné, comtesse de Savray,belle et bonne comme un ange, avait accepté tous les devoirs, avaiteu toutes les joies de la maternité. Le vicomte Paul, heureuxenfant, n’avait jamais eu que le sein de sa vraie mère.

Mais Fanchon l’avait bercé. Fanchon l’aimaitfollement et le gâtait à faire plaisir. Fanchon savait chanter descentaines de complaintes. En outre, dans cette noble et richedemeure, pleine de tableaux de maîtres, Fanchon était la seule quipossédât des images à un sou bien plus jolies que les précieusestoiles.

C’était du moins l’avis du vicomte Paul.

Après Fanchon, il y avait encore Sapajou, lepetit groom : une moitié de singe.

Et Lotte, la protégée de la comtesse Louise.Celle-là était une jolie créature, triste et douce, mais… onl’appelait la fille du Juif-Errant.

Pas devant les maîtres.

Pourquoi appelait-on Lotte la fille duJuif-Errant ? Le pourquoi pas devant tout le monde ?

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