La Fille du Juif-Errant

Chapitre 71LA CASSETTE

Mme Putiphar sortit. Je ferairemarquer qu’elle était Égyptienne, de même qu’Holopherne étaitBabylonien, le docteur Lunat prouve dans son grand ouvrage qu’il ya bien du mélange dans ce qu’on nomme aujourd’hui les Juifs, soiterrants, soit sédentaires.

L’Homme resta seul. Il s’assit dans un vieuxfauteuil en poussant un soupir de voluptueux soulagement.

– Ma foi, murmura-t-il, je vais dépenseraujourd’hui une bonne part de mes vingt-quatre heures de repos.Tant pis ! La chose en vaut bien la peine.

Il croisa ses jambes l’une sur l’autre ettourna ses pouces, disant :

– Voilà dix-sept ans passés que je nem’étais livré à ce jeu. C’est agréable.

La chambre était misérablement nue, commetoutes celles de l’hôtel des Trois-Rois. Il n’y avait pour toutornement qu’une image du Juif errant, souillée et déchirée.

Isaac la regarda avec plaisir.

– Comme cette bière mousse bien dans lepot ! pensa-t-il. J’en boirais un verre sans répugnance… maisces marchands de chansons me font trop vieux, ma barbe est troplongue, et mon nez trop crochu !

– Ah ! ah ! fit-il ens’interrompant, voici la fameuse cassette !

Son œil venait de rencontrer une petite boîteplate à demi cachée sous le traversin du grabat.

Il se leva, la prit et l’ouvrit, quoiqu’ellefût fermée à l’aide d’un secret qui eût défié l’habileté desprincipaux voleurs ou serruriers de la capitale.

Dans la petite cassette, dont l’intérieurressemblait exactement à celui des pharmacies portatives à l’usagedes médecins homéopathes, il y avait douze rangées de flaconsmicroscopiques, les uns vides, les autres contenant une liqueurincolore.

Les flacons ainsi remplis étaient au nombre decent quatre-vingt-sept ; les vides ne dépassaient pas lechiffre trente.

– Ce qui prouve bien, pensa Isaac ensouriant que ma peine est plus qu’aux trois quarts faite. Lespleins sont le passé et les vides l’avenir. Le monde a plus duréqu’il ne durera.

Il prit tous les petits flacons pleins les unsaprès les autres et les examina attentivement au jour.

On eût dit qu’il voyait dedans des portraitsfort ressemblants.

Certains lui arrachaient une exclamationétonnée, comme s’il eût retrouvé quelque vieille connaissance.

– Tiens ! dit-il, voilà lesecrétaire du cheval de Caligula ! pauvre garçon ! Lebarbier de Julien l’Apostat… Un cuisinier de Frédégonde… Je les aitous connus : comme cela me vieillit ! Un baron du tempsde Philippe-Auguste… le chimiste des Médicis… ce bon Ravaillac…Cartouche, un joyeux compère !… Marat… mais où diable est doncsir Arthur ?

Comme les flacons étaient rangés par ordre dedate, il ne tomba que tout à la fin sur celui de sir Arthur.Immédiatement après venait celui du colonel comte de Savray.

Puis commençait la série des flaconsvides.

Isaac referma la boîte et la remit sous letraversin.

Après quoi, il se coucha sur le lit, dont iltira les rideaux, et ferma les yeux en murmurant :

– Aujourd’hui je ne me refuse rien :je vais faire un bon petit somme.

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