La Fille du Juif-Errant

Chapitre 54UNE NUIT DE PARIS

Le ciel était d’un bleu profond ; lesétoiles innombrables n’avaient point ce scintillant éclat des nuitsde tempête. Il faisait chaud, mais une brise douce chantait dansles feuillées du Luxembourg. La voie lactée rayait le firmament desa diagonale indécise et brumeuse.

La ville ne dormait pas, et pourtant il yavait un grand silence.

Pas une voiture ne roulait sur le pavémuet.

Quand cette voix de la cité remuante se taitpar hasard, quand le roulement sourd des roues et le pas deschevaux font silence tout à coup, la nuit de Paris fait peur.

La porte du logis de la comtesse Louises’ouvrit doucement. Minuit sonnait à l’horloge du palais duLuxembourg. Une femme, enveloppée d’une mante sombre, sortit etdescendit la rue de l’Ouest d’un pas mal assuré.

Au détour de la rue de Vaugirard, un longgroupe noir stationnait qui semblait immobile et muet.

Le groupe s’ouvrit pour laisser la femmepasser.

La comtesse Louise put voir qu’à l’intérieurdu groupe il y avait des hommes, armés de barres de fer, quidescellaient les pavés en silence.

À cinq cents pas de là, un détachement de lagarde royale bivaquait vers la rue du Pot-de-Fer-Saint-Sulpice. Lessoldats jouaient aux cartes autour d’un feu. Les officiers sepromenaient en causant de la prise d’Alger, qui était une nouvelletoute fraîche.

Officiers et soldats se moquaient un peu desParisiens qui voulaient jouer au jeu des barricades.

Quand la comtesse Louise passa devant lesgaleries de l’Odéon, la brise apporta un tintement lointain. Desgens qui étaient là dirent :

– Voilà le tocsin !

Des étudiants joyeux sortirent du caféTabourey et crièrent :

– Vive la charte !

Les révolutions souhaitent toujours ainsilongue vie aux choses qu’elles veulent enterrer.

Ces étudiants étaient de jolis jeunes gens.Leur vue pressa le pas de la comtesse Louise, qui songeait à sonfils.

Dans la rue Racine on faisait encore unebarricade. Les rues neuves sont bonnes pour cela ; le pavés’enlève bien. Aux fenêtres, il y avait des étudiantes quis’amusaient à regarder l’ouvrage.

Rue des Mathurins-Saint-Jacques, l’hôtel deCluny déchiquetait sur le ciel ses noirs pignons et parlait destemps chrétiens où naissaient les cathédrales, tandis qu’unprofesseur athée, grimpé sur une borne, faisait un cours delibre-pensage.

Ces professeurs sont comme les chienshargneux, sauf le respect qui leur est dû : pour les empêcherd’aboyer, il suffit d’un os qu’on leur jette.

Mais si on les laisse mâcher à vide, ilsmordent. Et leur morsure donne la rage.

Tout le long de la rue Saint-Jacques ondépavait et l’on riait.

Il y avait des gamins qui disaient, en faisantla barricade :

– Maman va bien me gronder !

La comtesse Louise arriva jusqu’au Petit-Pont,gardé d’un côté par des hommes en blouse, de l’autre par desdragons.

Ceux qui défendaient l’héritage de St Louisétaient de ci, ceux qui s’amusaient au colin-Maillard desrévolutions étaient de là ; entre deux, la Seine coulaitpatiente et toujours la même. Des deux côtés c’était Paris. D’uncamp à l’autre les gaies paroles allaient et venaient en attendantla bataille.

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